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HONORÉ D’URFÉ.

livre réside dans l’application des théories philosophiques aux événements de la vie réelle : de là son grand succès, attesté par la publication de huit éditions dans l’espace de quelques années. On n’y trouve d’ailleurs ni la netteté lucide et le charme des traductions d’Amyot, ni la verve de la Ménippée, ni la physionomie vivante et hardie de la langue de Montaigne, ni la régularité soutenue de Charron.

Il vaut mieux juger d’Urfé dans l’Astrée. Là, il est incontestable qu’il n’a pas été sans action sur les destinées de notre idiome. On a prétendu qu’il avait été le précurseur de Fénelon : cette assertion flatteuse n’est pas sans quelque vérité. Fleuri et gracieux comme l’auteur de Télémaque, il a certainement la molle allure de sa phrase si limpide et si aisée, encore qu’un peu traînante, comme disait Voltaire. On se rappelle que notre langue, alors indécise, cherchait sa voie, tantôt imitant l’antiquité grecque et romaine, tantôt l’Espagne, tantôt l’Italie. Le style franco-italien de l’Astrée se déploie d’un mouvement calme et continu, avec assez de largeur, mais aussi sans beaucoup d’éclat, sans ce coloris que l’âme émue de Fénelon répandra sur son langage. Non cependant que l’amour de d’Urfé pour le Forez ne se reflète dans plus d’une peinture, non qu’il ne parle avec une sensibilité vraie de ces rives fortunées où la beauté des âmes s’unissait à celle de la nature ; que ce Lignon qu’il a rendu célèbre

    teinture qu’il lui plaît… Notre bien et notre nul ne tiennent qu’à nous. » Comme ce dernier langage peint à notre imagination ce que l’autre se borne à nous faire entendre !