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LOUISE LABÉ.

Prenait le frais, de nymphes couronnée :
J’allais rêvant, comme fais maintes fois,

Sans y penser ; quand j’ouïs une voix
Qui m’appela, disant : nymphe étonnée,
Que ne t’es-tu vers Diane tournée ?
Et me voyant sans arc et sans carquois,

Qu’as-tu trouvé, ô compagne, en ta voie,
Qui de ton arc et flèches ait fait proie ?
Je m’animai, réponds-je, à un passant,

Et lui jetai en vain toutes mes flèches
Et l’arc après : mais lui, les ramassant,
Et les tirant, me fit cent et cent brèches.


Malgré les défauts qui s’y mêlent, dus pour la plupart à l’influence régnante du faux goût importé de l’Italie, malgré l’état imparfait encore de notre poésie et de notre langue, ces vers de Louise Labé et quelques autres semblables ont suffi pour faire vivre à jamais sa mémoire. Heureuse condition des poëtes ! que faut-il pour rendre leur nom immortel ? quelques accents bien sentis, quelques cris sortis du cœur, quelques vers dictés par la muse. Ils ne connaissent ni les pénibles recherches, ni les longs et vains efforts, ni le dégoût des rudes labeurs. L’inspiration, qui les entraîne et qui nous charme, leur donne la gloire ; leur nom, répété par des bouches amies, vole d’âge en âge. Tandis que, mal payés de leurs veilles, les érudits trouvent à peine un patient investigateur qui lutte pour les rappeler au souvenir de quelques savants comme eux, la réputation populaire des poëtes reçoit du temps un nouveau prestige qui l’accroît et qui l’embellit.