Page:Feuillet - Monsieur de Camors, 1867.djvu/383

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Ces deux existences désolées offraient alors, au milieu de l’appareil presque royal qui les entourait, un spectacle digne de pitié. Dans ce parc magnifique, à travers les riches parterres et les grands vases de marbre, sous les longues arcades de verdure peuplées de statues blanches, on les voyait tous deux errer séparément comme deux ombres mornes, se rencontrant quelquefois, ne se parlant jamais.

Un jour, vers la fin.de septembre, M. de Camors ne descendit pas de son appartement. Daniel dit à la marquise qu’il avait donné l’ordre de n’y laisser pénétrer personne.

— Pas même moi ? dit-elle.

Il secoua la tête douloureusement. Elle insista.

— Madame, dit-il, je serais chassé.

Le comte persistant dans cette manie de réclusion absolue, elle en fut réduite dès ce moment aux nouvelles que ce domestique lui donnait chaque jour. M. de Camors n’était point alité. Il passait sa vie dans une rêverie sombre, couché sur son divan. Il se levait par intervalles, écrivait quelques lignes, et se recouchait. Sa faiblesse paraissait grande, quoiqu’il ne se plaignît d’aucune souffrance. Après deux ou trois semaines, la marquise, lisant sur les traits de Daniel une inquiétude plus vive que de coutume, le supplia d’introduire chez son maître le médecin du pays, qu’elle fit appeler. Il s’y décida. La malheureuse femme, quand le médecin fut entré dans l’appartement du comte, se tint contre la porte, écoutant avec