Page:Feuillet Echec et mat.djvu/18

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LE ROI.

Non pas, non pas, mon cher duc, vous êtes trop modeste ; ne me refusez pas ce service, je vous prie. Pendant ce temps-là je vais, sur la même question, travailler avec Olivares. Menez-vous là, vous dis-je… (Il lui indique la table de gauche, À Olivares, montrant la table de droite.) Et vous ici.

LE DUC, s’asseyant, à part.

Sur la même question ! allons.

LE ROI, bas, à Olivares.

Comment donc avez-vous laissé échapper ce maudit homme ?

LE DUC, les observant, à part.

Ils entament la question.

OLIVARES, bas.

Sire, je n’y conçois rien. J’ai vu sortir le duc avec don Riubos et ses hommes. Il faut qu’il ait trouvé moyen de les enfermer à sa place.

LE ROI.

C’est le diable en personne. (Riubos passe la tête par la porte de droite ; voyant le roi, il se retire vivement.)

OLIVARES.

Je l’ai parfois pensé.

LE ROI.

Il m’exaspère ! Je donnerais une de mes provinces pour avoir un moyen de l’éloigner ce soir du palais avant qu’il n’ait emmené la duchesse !

OLIVARES.

Eh bien ! sire ?

LE ROI.

Eh bien ! cherchez ce moyen.

OLIVARES.

Sire, je l’ai cherché.

LE ROI.

Et trouvez-le…

OLIVARES.

Sire, je l’ai trouvé.

LE ROI.

Ah !

LE DUC, à part.

Ils font de la haute politique.

OLIVARES.

Mais puis-je compter que Votre Majesté ne me désavouera point ? (Riubos montre une seconde fois sa tête.)

LE ROI.

Pourvu que vous réussissiez et que le duc ne coure aucun danger.

OLIVARES.

Non, sire ; voici ce que c’est…

LE ROI, se levant.

Non, non, j’aime mieux que vous ne me le disiez pas. Allez, allez ; seulement faites vile ce que vous ferez.

OLIVARES.

Mais, sire, il faut que je m’éloigne du palais, et je ne pourrai surprendre ce soir à dix heures le galant au mystérieux rendez-vous…

LE ROI.

Eh bien ! j’ai besoin de respirer l’air du soir, je me charge de veiller sur cette terrasse ; n’est-ce pas là que se montre la dame inconnue ?

OLIVARES.

C’est là du moins que don Riubos a cru la voir.

LE ROI.

Bien ! allez et hâtez-vous, car je n’ai plus aucun prétexte pour le retenir. (Olivares sort.)


Scène V.

LE ROI, LE DUC.
LE DUC, se levant.

Sire, j’ai fini.

LE ROI.

Comment ! Dix lignes seulement ?

LE DUC.

Les meilleurs plans, sire, ne sont pas les plus longs.

LE ROI.

En effet, duc, les grands politiques sont toujours singulièrement concis… Dix lignes ! c’est bien, cher duc ; je vais lire cela sur cette galerie, et je vous dirai ce que j’en pense.

LE DUC.

Mais il fait nuit, sire.

LE ROI.

Il fait un clair de lune magnifique… (Commençant à lire.) « Le Portugal, à mon avis, ne peut être sauvé que par le séjour prolongé du roi dans cette province. » Jusqu’ici, c’est clair au moins, mon cher duc, et cela se comprend facilement. Attendez-moi là, je vous prie, attendez-moi là. (Il sort par le fond, traverse la galerie, et entre par la porte vitrée sur la terrasse.)


Scène VI.

LE DUC, seul.

Allendez-moi là ! Il est évident qu’il va m’arriver quelque chose… Mais quoi ?… Nous allons voir.


Scène VII.

RIUBOS, LE DUC.
RIUBOS, à la porte de droite.

Enfin vous êtes seul, monseigneur.

LE DUC.

Oui, parfaitement seul, mon honorable ami. Approchez. Eh bien ?

RIUBOS.

C’est fait, monseigneur.

LE DUC.

Arrêté ?

RIUBOS.

À neuf heures précises, comme vous me l’avez ordonné.

LE DUC.

Bien. Vous a-t-il demandé qui le faisait arrêter !

RIUBOS.

Oui, monseigneur.

LE DUC.

Et vous lui avez dit ?

RIUBOS.

Que c’était Votre Excellence

LE DUC.

Bien. Où est-il ?

RIUBOS.

Chez lui, gardé à vue.

LE DUC.

Bien. A-t-il résisté à vos hommes ?

RIUBOS.

Il les a bâtonnés.

LE DUC.

Bien. Maintenant, cette femme que vous avez cru voir ?

RIUBOS.

Que j’ai vue, monseigneur.

LE DUC.

Que vous avez cru voir, je le répète.

RIUBOS.

Pardon, Excellence, je ne comprenais pas.

LE DUC.

Eh bien ! cette personne ?

RIUBOS.

Sortait par cette porte qui donne sur la terrasse.

LE DUC.

Et suivait cette galerie extérieure ?

RIUBOS.

Oui, Excellence.

LE DUC.

Et vous avez raconté cette vision ?

RIUBOS.

Au comte-duc, la croyant véritable, mon Dieu ! oui.

LE DUC.

Qui l’a racontée au roi. Je comprends maintenant pourquoi Sa Majesté a préféré pour lire ma note la clarté de la lune à celle des bougies.

RIUBOS.

Monseigneur, il ne faut pas m’en vouloir ; j’ignorais en ce moment l’intérêt que Votre Excellence…

LE DUC.

Vous en vouloir ? comment donc, capitaine, au contraire, je suis on ne peut plus content de vous.

RIUBOS.

Ah ! monseigneur !

LE DUC.

Don Riubos, j’ai découvert dans vos tablettes Quelques frag-