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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/165

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Scène V

Les Mêmes, Charançon, sortant de la chambre à droite ; il est en robe de chambre, et tient à la main un réveille-matin qui sonne.

Charançon, apercevant Gabrielle. — Tiens, bonjour, Gabrielle ! Ah ! Lambert ! Quelle bonne surprise ! (Le réveille-matin s’arrête.) Croyez-vous, mes enfants, que c’est assommant ! je ne sais pas qui a inventé les réveille-matin ; mais, c’est certainement quelqu’un qui voulait empêcher les gens de dormir.

Édouard. — C’est une invention malfaisante.

Charançon. — J’ai une migraine, mes amis ! Ah ! que j’ai soif !

Il se verse à boire avec la carafe que Samuel a laissée précédemment.

Gabrielle. — Est-ce que tu es souffrant, mon ami ?

Charançon. — Non ! j’ai un peu mal aux cheveux !

Édouard. — Ah ! ah ! nous avons donc fait la fête.

Charançon, hypocritement. — Oh ! la fête !…

Gabrielle. — Vois-tu ! les excès ne te valent rien !

Charançon. — Qu’est-ce que tu veux, ma bonne amie, on se doit à sa profession de maire ! Tu comprends que ce n’est pas pour mon agrément que j’ai soupé avec des écuyères, des clowns et des danseuses ! des gens de couche inférieure ! Seulement ils ont donné dans la commune une grande représentation de leur cirque au bénéfice des vignes phylloxérées. C’était bien le moins que nous leur offrissions un banquet et que je le présid… asse !…

Édouard, riant. — Oh ! nous avons le subjonctif pâteux !

Charançon. — Ah ! que j’ai soif, mon Dieu ! que j’ai soif ! (Édouard lui verse à boire.) Ah ! ce bon Édouard ! Toujours là ! C’est gentil d’être venu !… Car vous nous restez ! (À Gabrielle.) Il nous reste, dis… Gaby ?

Édouard, regardant Gabrielle. — Je ne sais pas si je dois…

Gabrielle, dédaigneuse. — Puisque mon mari vous invite.

Édouard, un peu moqueur, à Gabrielle. — Oh ! du moment que vous insistez…

Gabrielle hausse les épaules.

Charançon, à Gabrielle. — Je te dis que cet homme-là est un ange ! (À Édouard.) Et dire que sans ma femme je ne vous aurais pas connu. Je serais garçon, vous ne seriez peut-être pas là à l’heure qu’il est.

Édouard, entre ses dents. — Çà, sûrement !

Charançon. — Car enfin, ça date de notre voyage en Italie, à Venise… Gabrielle voulait monter sur le Campanile ; seulement, depuis de nombreux suicides, on ne vous laisse plus monter que quand vous êtes plus de deux ! Nous étions très embarrassés, quand vous avez paru ! il était écrit… il était écrit que vous seriez le troisième.

Édouard. — Voilà…

Charançon, allant pour se verser à boire. — Allons ! bon ! plus d’eau !

Gabrielle. — Au lieu de boire de l’eau tu ferais bien mieux de prendre quelque chose de chaud ! Je vais te préparer de la tisane !

Charançon, vivement, remontant derrière elle. — Oh ! pas de champagne !

Gabrielle, souriant. — Mais non, de la camomille !…

Elle sort à gauche, deuxième plan.