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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/166

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Scène VI

Charançon, Édouard

Charançon, redescendant, à Édouard. — Ah ! mon ami ! Vous n’avez peut-être jamais vu un maire abruti !

Édouard. — Mais si ! mais si ! dans l’administration ! ça se trouve, pourquoi ?…

Charançon. — Eh bien, mon cher, je suis ce maire abruti. Ah ! mon ami, une écuyère exquise, voyez-vous ! Elle m’a rendu bête…

Édouard, un peu moqueur. — Mais non ! mais non !

Charançon, avec enthousiasme. — Mais si ! mais si ! Ah ! c’est que vous ne savez pas, mon cher : elle était là, près de moi, à table ! Sa jambe… je devinais sa jambe effleurant la mienne… cette jambe qui, quelques minutes avant, transportait une salle entière à travers des cerceaux.

Édouard. — Ça devait être un spectacle bien curieux…

Charançon. — Eh bien, elle était là, simplement près de moi : ah ! mon ami, cette jambe. (Se frappant le cœur.) Je la garderai toujours là !…

Édouard. — Ce sera bien gênant !

Charançon. — Je la regardais, cette petite écuyère, mangeant ses écrevisses et je me disais en la considérant : (Avec conviction.) "Ah ! je comprends maintenant pourquoi les Anciens aimaient tant le cirque !"

Édouard. — Ah çà ! mais dites donc, vous avez l’air joliment pincé !

Charançon. — Ah ! mon cher, on a beau être fonctionnaire : c’est dans ces moments-là qu’on s’aperçoit vraiment que la femme est la compagne de l’homme !

Édouard. — Eh bien ! je suppose que vous avez planté des jalons ?

Charançon. — Moi ? Vous n’y pensez pas ! elle a sa mère !

Édouard. — Ah ! c’est une chance de moins !

Charançon. — Et puis, elle est mariée !

Édouard. — Ah ! ça, c’est une chance de plus !

Charançon. — Et avec ça, une vertu…, d’un sérieux !

Édouard. — Allons donc !

Charançon. — Parole ! je le tiens de sa mère ! il paraît qu’on lui a fait des propositions très belles !… Quinze cents francs par mois et un appartement je ne sais où… Eh bien ! elle a été indignée… elle a tout refusé… oui !… elle veut le petit hôtel !

Édouard. — Bigre ! eh bien ! transigez ! offrez-lui le meublé !

Charançon, avec une moue. — Ah ! vous ne respectez rien !

Édouard. — Et quel est donc ce parangon de vertu ?

Charançon. — Vous devez la connaître de nom ! madame Miranda !

Édouard. — Miranda ! Ah ! bien, mon ami ! vous pouvez !… vous pouvez !

Charançon. — Vous la connaissez donc ?

Édouard. — Je l’ai connue… mais je suis mal avec elle !

Charançon. — Est-ce que vous auriez posé des jalons ?

Édouard, entre ses dents. — Non ! ce n’est pas précisément ça que je lui…

Charançon. — Alors, ça ne serait pas une vertu ?

Édouard. — C’est peut-être une vertu, mais sûrement pas récalcitrante !

Charançon. — Ah bah ! Eh bien ! le mari ?