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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/171

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Charançon. — Non ! ça n’engage à rien ! Ça promet, mais ça n’engage à rien !

Ils rient.

Miranda. — Ah ! oui, mais c’est que je suis obligée de retourner à Paris !

Charançon. — Eh bien, voilà ! Ça me va ! Paris, c’est le champ de mes fredaines ! Ici, je suis un magistrat sérieux ! Là-Bas : "ohé ! ohé !"

Miranda. — Oui. Eh bien ! quelle adresse ?

Charançon. — C’est juste ! Rue Taitbout, hôtel du Congo ! Notez-le !…

Miranda. — Je m’en souviendrai !

Charançon. — Ah ! et dis donc. (À mi-voix en clignant de l’œil.) Surtout, laisse ta mère à la maison…

Miranda. — T’es bête !

Elle sort par le fond.

Scène XI

Charançon, puis Gabrielle

Charançon. — Eh bien ! je l’ai placé mon : " gros poulot !" Ah ! elle est charmante ! et quand je pense que ce soir !… Vite, ne perdons pas de temps. (Il prend la chaise qui est à droite du canapé, et va la porter derrière la table face au public. — S’asseyant.) Fabriquons-nous notre exeat. (Il tire une main de papier à lettres du tiroir de la table.) Le voilà, mon exeat. (Lisant l’en-tête.) "Etude de Me Gratin, avoué." (S’asseyant et se disposant à écrire.) Pour avoir des procès, il me fallait un avoué… alors, j’ai pris celui-là… dans le Bottin. (Trempant sa plume dans l’encre,) Oui ! en feuilletant, je trouve "Gratin, avoué". Je me dis : tiens ! Mais j’avais pour camarade à l’Ecole de droit un nommé Gratin ! — je ne sais même pas comment il a pu devenir avoué celui-là… Quel crétin !… — Alors, n’est-ce pas, je me suis fait faire du papier à son nom, et de la sorte, chaque fois que j’ai une frasque à faire, je prends une feuille… comme celle-là.. ma main gauche ; ça écrit mal ; mais j’ai dit que Gratin était ramolli et je me procure mon petit procès (Ecrivant avec la main gauche.) "Mon cher maître. Veux-tu passer au plus vite à mon étude. J’ai une cause délicate à faire plaider et je ne saurais mieux la confier qu’au grand talent de maître Charançon. — pendant que j’y suis, n’est-ce pas ?… bien à toi. Gratin Ah ! soignons le détail. Post-scriptum : Madame Gratin est un peu souffrante. Ça m’ennuie bien." (Tout en écrivant,) Je ne sais même pas s’il est marié cet animal-là ! (Posant sa plume.) Là, ça n’a l’air de rien, et ça ajoute à la vraisemblance. (Pliant la lettre.) Et maintenant avec ça ! (Apercevant Gabrielle qui entre.) Ma femme !

Il a redéplié la lettre et affecte de la relire.

Gabrielle, entrant de gauche. — Qu’est-ce que tu lis là, mon ami ?

Charançon, toujours assis, sans quitter sa lettre des yeux. — Ah ! je suis bien ennuyé !… Je suis bien ennuyé, c’est une lettre d’affaires… Tiens, vois… Quand on est dans le barreau, on ne s’appartient pas ! (Lui donnant la lettre avec un soupir.) Voilà ce que je viens de recevoir ! Comme c’est amusant !

Il se lève.

Gabrielle, lisant, — "Mon cher maître. Veux-tu passer au plus vite à mon étude ? "