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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/194

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prendre une décision et s’élance vers la porte de sortie à droite, il n’aperçoit pas la barre et va donner contre ; il fait "Oh !" en se frottant l’estomac, considère un instant la barre, puis passe par-dessous, après quoi, se retournant vers la barre, face au tribunal.) Ah ! c’est la barre !… la barre !… Et dire que ce grand mot, c’est cette petite machine-là !… Il me semble que ça ne m’intimiderait pas du tout ! (S’appuyant à la barre.) Messieurs… Adressez-vous au Louvre, au Bon Marché, on vous demandera quatre francs, cinq francs… Et bien, moi, messieurs !…

Il continue à voix basse avec force gestes oratoires.

Samuel, entrant de droite, premier plan. — Neuvième chambre, c’est peut-être ici qu’a lieu cette grande affaire à laquelle ils sont tous allés, madame, monsieur !… Voyons !… à qui m’adresser ?… (Se retournant et apercevant Gratin de dos.) Oh ! un avocat !… (Gratin fait des gestes oratoires sans rien dire.) Qu’est-ce qu’il a, on dirait qu’il plaide, et il ne dit rien !… C’est probablement l’avocat des sourds-muets !

Gratin, qui a tiré des jarretières de sa poche. — Oui, messieurs… Je recommande spécialement au tribunal les jarretières élastiques !

Samuel. — Tiens ! Mais c’est M. Gratin. (Lui tapant sur l’épaule.) Eh bien, qu’est-ce que vous faites en robe, vous ?

Gratin, effrayé. — Hein ! moi ? non ! je ne suis pas en robe ! je ne suis pas en robe !… Samuel ! vous ! Ah ! vous m’avez fait une peur !

Samuel. — Il n’y a pas de quoi !

Gratin. — Comment, il n’y a pas de quoi ? Je n’ai pas le droit d’être en robe !

Samuel. — Alors pourquoi y êtes-vous ?

Gratin, à Samuel dans le tuyau de l’oreille. — Je ne sais pas !

Samuel, à Gratin, dans le tuyau de l’oreille. — Ni moi non plus !

Gratin, passant au 2. — Oh ! Mais je n’y tiens plus ! Je vais aller l’enlever…

Samuel. — Vous avez l’air d’une chauve-souris avec !

Gratin. — Oh ! elle me brûle !… elle me brûle !

Samuel. — Comme la tunique de Nestor !

Gratin. — Non, sus !

Samuel. — Comment, sus ?

Gratin. — La tunique de Nessus !

Samuel. — Oui, ça dépend de la façon de prononcer ! Mais dites donc, on ne fait donc rien ici ? À quelle heure que ça commence, la représentation ?

Gratin. — Quoi ? La représentation ? l’audience !

Samuel. — Oui ! Enfin l’audience ! Ce que vous êtes chicanier aujourd’hui !

Gratin. — Je ne sais pas, moi, tout à l’heure !

Samuel. — Eh bien ! dites donc, monsieur Gratin ? Venez-vous prendre un verre en attendant ?…

Gratin. — C’est ça ! J’en profiterai pour retirer ma robe !

Samuel. — Nous rentrerons quand on sonnera. (Au municipal qui vient de rentrer.) Ah ! municipal, est-ce qu’on sonne au public ?

Le Municipal, bourru. — Est-ce que je sais ?

Samuel, lui offrant un cigare. — Municipal ! Un londrès… de deux sous ?

Le Municipal, très aimable. — Oh ! merci, monsieur.

Samuel, à Gratin. — Comme ça, s’il y a du monde, il nous laissera entrer.