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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/249

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Adrien. — Bref, Monsieur, étant donné les choses, j’ai le regret d’annoncer que je serai obligé de quitter le service de Monsieur.

Follbraguet. — Eh bien, quittez-le ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise.

Adrien, digne. — C’est bien, Monsieur. Désormais, je reprends mon rang dans la société et je parle d’égal à égal.

Follbraguet. — Quoi !

Adrien. — Je ne suis qu’un mari qui défend l’honneur de sa femme. Ou Madame retire ce qu’elle a dit et fera des excuses à Hortense…

Follbraguet, pouffant nerveusement. — À Hortense !…

Adrien. — Ou bien, je n’oublie pas que je suis ancien prévôt d’armes au régiment, j’aurai l’honneur d’envoyer mes témoins à Monsieur.

Follbraguet. — Vos témoins ! Ah, çà ! vous vous fichez de moi ! Vous ne pensez pas que je vais me battre avec mon domestique ?

Adrien. — Je ne suis plus domestique.

Follbraguet, allant à lui. — Mais je les ficherai à la porte, vos témoins.

Adrien. — En ce cas, il sera établi qu’après avoir offensé les gens, Monsieur refuse de se battre, et il sera carencé.

Follbraguet, se tordant rageusement. — Je serai carencé !… je serai carencé !… c’est admirable ! Eh bien ! qu’on me carence ! qu’est-ce que ça me fiche ?

Adrien. — Ça, c’est affaire à Monsieur !

Follbraguet, s’arrachant les cheveux. — Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais pourquoi est-ce que c’est sur moi que tout le monde tombe, est-ce que je suis pour quelque chose dans tout ça ?

Adrien. — Oh ! je sais bien que ce n’est pas Monsieur. Mais étant donné que le mari répond pour la femme !… j’attendrai jusqu’à ce soir la décision de Monsieur !… Ou Madame fera des excuses…

Follbraguet. — Ah ! non, vous ne voyez pas ça !

Adrien. — Ou alors demain, j’envoie à Monsieur deux de mes amis.

Follbraguet. — D’abord, si vous croyez que Madame consentirait…

Adrien. — Oh ! ça, c’est parce que Monsieur le veut bien, parce qu’enfin c’est Monsieur qui commande de par la loi, Monsieur n’a qu’à faire acte d’autorité, qu’à dire : « En voilà assez ! je suis le maître et j’exige ! »

Follbraguet. — Ah ! oui… Vous en parlez à votre aise.

Adrien. — Enfin, Monsieur a jusqu’à ce soir avant que je lui envoie mes témoins.

Hortense, qui devait écouter depuis un moment à la porte restée contre, surgissant et se précipitant sur Adrien. — Qu’est-ce que tu dis ? Des témoins ? Tu veux te battre ?

Adrien, se dégageant de son étreinte. Ah ! je t’en prie, toi, c’est affaire entre hommes : tais-toi !

Hortense. — Ah ! non, tu ne vas pas te battre avec ces gens-là !

Adrien. — En voilà assez, je te dis ! Je suis le maître ! Et j’exige ! (Hortense se le tient pour dit. À ce moment, on sonne dans l’antichambre, sur un tout autre ton, à Follbraguet.) Jusqu’à ce soir, je continue mon service. Je vais ouvrir.

Marcelle, sortant de sa chambre en avalanche. Voil… (En rencontrant Hortense, elle s’arrête, toise les domestiques qui sortent dignement. Une fois les personnes sorties, jetant une clé sur la table.) Voilà ma clé !… ma chambre est libre, tu peux en disposer !