Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/125

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Pontagnac. — Eh bien ! en voilà une surprise !…

Vatelin. — Comment "en voilà une surprise !" puisque vous êtes chez moi, vous deviez bien vous attendre à m’y trouver.

Pontagnac. — Hein ?… non… je veux dire : en voilà une surprise que je vous fais, hein ?

Vatelin. — Ah ça ! oui, par exemple !

Lucienne. — Ah bien ! elle est forte ! (À Vatelin.) Comment, tu connais monsieur ?

Vatelin. — Si je le connais !

Pontagnac, affolé. — Oui… oui, il me… (Perdant la tête, prenant un louis de sa poche et le mettant dans la main de Lucienne.) Tenez, prenez ça ! pas un mot ! pas un mot !

Lucienne, ahurie. — Hein ! il me donne un louis !

Vatelin, qui n’a pas vu le jeu de scène. — Eh bien ! qu’est-ce que vous avez ?

Pontagnac. — Moi, je n’ai rien ! Qu’est-ce que vous voulez que j’aie ? Vatelin remonte un peu.

Lucienne, bas. — Mais, monsieur, reprenez ça ! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ce louis ?

Pontagnac. — Oh ! pardon, madame ! (À part.) Je ne sais plus ce que je fais ! Je perds la tête !

Vatelin. — Ah ! ce brave ami ! Vrai, vous ne sauriez croire combien je suis sensible ! Moi qui avais renoncé à l’espoir de vous recevoir jamais chez moi, vous qui m’aviez promis si souvent…

Lucienne. — Ah ! c’est-à-dire que tu ne saurais trop remercier monsieur.

Vatelin, pendant que Pontagnac se confond en salutations qui dissimulent mal son trouble. — N’est-ce pas ? Je vous dis que c’est tout à fait gentil d’être venu, et surtout de cette façon-là !

Lucienne. — Ah ! oui, surtout de cette façon-là !

Elle va à la cheminée.

Pontagnac. — Ah ! vraiment, cher ami, madame ! (À part.) Ca y est ! elle se fiche de moi !

Vatelin. — Mais, j’y pense, vous ne connaissiez pas ma femme… (Présentant.) Ma chère Lucienne, un de mes bons amis, M. de Pontagnac… Ma femme.

Pontagnac. — Madame !

Vatelin. — Au fait ! je ne sais pas si c’est très prudent ce que je fais là de te présenter Pontagnac.

Pontagnac. — Pourquoi ça ?

Vatelin. — Ah ! c’est que c’est un tel gaillard. Un tel pécheur devant l’Eternel ! Tu ne le connais pas ? Il ne peut pas voir une femme sans lui faire la cour ! il les lui faut toutes !

Lucienne, railleuse. — Toutes ! Ah ! ça n’est pas flatteur pour chacune.

Pontagnac. — Oh ! madame, il exagère ! (À part.) Est-il bête de lui raconter ça !

Lucienne, devant la cheminée. — Quelle déception pour la pauvre femme qui a pu se croire distinguée et qui finit par s’apercevoir qu’elle n’est qu’additionnée.

Pontagnac. — Je vous répète, madame, que c’est une calomnie.