Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/13

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il ne manque plus qu’un peu de lustre à mon nom… Eh ! bien, ce lustre, c’est toi qui me le donneras. Tu es mon œuvre, cet opéra est ton œuvre. Or, les œuvres de nos œuvres sont nos œuvres, par conséquent, Faust est mon œuvre. J’ai dit !

Tous. — Bravo ! Bravo !

Landernau. — Mais cela ne nous dit pas comment tu t’y prendras pour le faire jouer.

Pacarel. — Attends donc !… L’autre jour, j’ai appris que l’Opéra avait l’intention d’engager un ténor merveilleux… une voix tu sais… comme je sens que j’en ai une en dedans… si elle voulait sortir… Ce ténor chante à Bordeaux… il s’appelle Dujeton et a un avenir immense… Qu’est-ce que je fais ?… je télégraphie à mon vieil ami Dufausset ! "Engage pour moi, n’importe quel prix, ténor Dujeton ! Actuellement Bordeaux et expédie directement." Vous comprenez, une fois en possession du ténor… je le lie à moi… L’Opéra se traîne à mes genoux… et en même temps que je lui repasse mon ténor, je lui impose mon opéra et voilà les Pacarel qui passent à la postérité… Messieurs, Mesdames, à votre santé.

Tous. — Hip ! hip ! hip ! hurrah !

Julie, se lève. — Ah ! papa, que je suis contente !

Elle l’embrasse.

Pacarel. — Prends donc garde à mon col… tu peux bien embrasser sans te suspendre… Tiens, embrasse ta belle-mère, plutôt.

Elle va embrasser Marthe.

Marthe, après que Julie l’a embrassée. — D’abord, ne dis pas toujours ta belle-mère, ça me vieillit, moi, ça me donne l’air d’une conserve.

Amandine. — Hé ! Hé ! les conserves valent souvent mieux que les primeurs !

On apporte les rince-bouche.

Pacarel, à part. — Elle prêche pour son saint, la maman Landernau.

Scène II

Les Mêmes, Tiburce, Dufausset

Tiburce. — Monsieur. Il y a là un Monsieur qui arrive de Bordeaux… Il vient de la part de M. Dufausset.

Pacarel. — De Dufausset ! C’est lui ! c’est Dujeton… Ah ! mes amis… Je vous en prie… faites-lui une entrée… Songez, un ténor, c’est habitué aux ovations… Marthe, au piano… ton grand morceau… (Marthe gagne le piano.) Madame Landernau et toi, Julie, vous allez taper sur vos verres avec des cuillers… N’ayez pas peur de faire du bruit. Toi, Landernau, tu vas monter sur une chaise en face de moi, et avec ta serviette, nous ferons l’arc de triomphe. Avez-vous bien compris ? Là, allons-y. Et toi Tiburce, fais entrer avec déférence.

Chacun prend la position indiquée. Pacarel et Landernau montent chacun sur un des fauteuils du fond, Pacarel à gauche et Landernau à droite… Amandine et Julie sont à droite de la table. Tiburce introduit Dufausset qui est accueilli par un charivari formidable.