Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/161

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à Rédillon. — Désolé, monsieur, madame, de venir ainsi vous déloger… (À part.) Pristi, la belle femme ! (Il donne son sac à sa femme qui va le poser sur la table et revient à son mari. Haut.) Mais j’avais retenu télégraphiquement une chambre pour ce soir à cet hôtel et, comme vous le voyez par cette dépêche : "Retenu pour vous chambre 39." C’est celle-ci qui m’a été désignée.

Armandine, mettant ses gants. — Mais c’est moi, monsieur, qui m’excuse de l’occuper encore. Nous nous préparions justement à la quitter.

Pinchard. — Je vous en prie, madame, prenez votre temps ! Je serais désespéré de déranger le moins du monde. D’autant plus que quand il y en a pour deux, il y en a pour quatre.

Armandine. — Oh ! monsieur, vous êtres trop galant !

Pinchard. — Mais du tout, madame. (À Rédillon.) Je vous fais mes compliments, monsieur, vous avez une bien jolie femme. (Rédillon s’incline, flatté.) Je changerais bien avec la mienne.

Rédillon et Armandine, étonnés, regardent Mme Pinchard qui sourit toujours avec de petites courbettes. — Hein ! Comment !

Pinchard. — Oh ! carrément, et je ne crains pas de le dire devant ma femme.

Rédillon. — Comment, ça lui est égal ?

Pinchard. — C’est pas que ça lui soit égal, mais elle est sourde comme un pot !

Il remonte un peu.

Rédillon et Armandine. — Ah ! ah !

Ils étouffent un rire.

Mme Pinchard. — Je vous en prie, madame, ne vous dérangez pas pour nous !

Armandine, remerciant. — C’est précisément ce que monsieur votre mari a eu l’amabilité de nous dire.

Mme Pinchard, qui n’a pas compris. — Oh ! mais nullement, madame, nullement.

Pinchard. — Vous avez compris ?

Rédillon. — Non !

Pinchard. — Moi non plus ! C’est un peu incohérent ce qu’elle vous répond, mais ça vient de ce qu’elle n’a pas entendu un mot.

Mme Pinchard, très aimable. — Et mon mari aussi.

Pinchard. — Voilà ! il faut s’y faire ! Moi, depuis vingt-cinq ans, vous comprenez ! Car il y a aujourd’hui vingt-cinq ans que nous sommes mariés, c’est même pour fêter cet anniversaire que nous sommes venus à Paris. Je la conduis à l’Opéra.

Rédillon, à Armandine. — Il conduit la sourde à l’Opéra !… Pour lui faire ouïr la "Muette" probablement. (À Pinchard.) À l’Opéra, ce soir ?

Il regarde sa montre.

Pinchard. — Oui, il est un peu tard, mais comme l’on joue la "Favorite" et, "Coppélia", nous ne tenons à arriver que pour le ballet ; parce que, moi, la musique, ça m’embête, et ma femme, elle, ne peut voir que les ballets ! Elle regarde danser, ça l’amuse, elle dit seulement que ça gagnerait à avoir de la musique ! (Lui donnant une tape sur le bras.) N’est-ce pas, Coco !

Mme Pinchard. — Quoi ?

Pinchard, le pouce de chaque main dans les pochettes de son dol-