Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/193

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revers de la main droite.) Oui ? (Gérôme fait "oui" de la tête en l’accompagnant d’un coup d’œil malicieux. À Lucienne.) Ca va bien, on est parti !

Lucienne. — Ah !

Ils quittent leur position.

Scène VI

Lucienne, Rédillon, puis Gérome

Rédillon. — Asseyez-vous !

Il va fermer la porte du fond.

Lucienne, s’asseyant. — Hein ! Non ! Mais croyez-vous, le misérable !

Rédillon. — Qui ?

Lucienne. — Comment qui ? Mais mon mari, évidemment !

Rédillon, venant s’asseoir à côté d’elle. — Ah ! oui, oui ! Je suis bête ! Je n’y étais plus !

Lucienne. — Non, non ! Et moi qui étais une femme fidèle, moi qui repoussais les avances de ce pauvre Rédillon !

Rédillon. — Oui, ce pauvre Rédillon.

Lucienne. — Eh bien ! Maintenant, plus souvent que je les repousserai, ses avances !… Il m’aime !… Eh bien ! Je serai à lui, c’est ma vengeance.

Rédillon. — Oui ! Ah ! Lucienne ! Lucienne !

Gérome, passant la tête au fond. — Dis donc ! Je descends, je vais chercher deux côtelettes !

Rédillon, bourru. — Hein ! mais oui ! mais oui !… Venir nous parler de côtelettes… Ah ! Lucienne ! (Vivement, courant au fond.) Ah ! Et puis des haricots verts ! Eh !… Des haricots verts !…

Voix de Gérome. — Oui !

Rédillon, redescendant. — C’est qu’il a la manie de me faire tous les jours des pommes de terre, je commence à en être saturé !… (S’asseyant.) Je vous demande pardon, c’est un vieux domestique de la famille, il est un peu terre à terre, il ne nage pas comme nous dans l’idéal !

Lucienne, se levant et gagnant la gauche. — Si vous croyez que je suis en train d’y nager, moi, dans l’idéal !

Elle remonte entre la table et la cheminée.

Rédillon. — Qu’est-ce que je vous disais donc ?

Lucienne. — Vous disiez qu’il a la manie de vous faire manger des pommes de terre !

Rédillon, se levant. — Non, avant ?

Lucienne. — Vous disiez. "Ah ! Lucienne, Lucienne !"

Rédillon, avec lyrisme, tout en cherchant ce qu’il avait bien pu avoir à dire. — Ah ! Lucienne ! Lucienne !… Ah ! Oui !… (Reprenant.) Ah ! Lucienne ! Lucienne !… (La ramenant sur le divan.) Dites-moi que je ne suis pas le jouet d’un rêve ! Vous êtes bien à moi ? Rien qu’à moi ?…

Lucienne, assise. — Oui, bien à vous ! Rien qu’à vous !

Rédillon. — Ah ! que je suis heureux !

Lucienne. — Tant mieux, mon ami, c’est une compensation que le malheur des uns fasse un peu le bonheur des autres.