Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/194

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Rédillon. — Ah ! oui, oui ! Tenez, appuyez votre tête contre ma poitrine…

Lucienne. — Attendez, mon chapeau me gêne.

Elle le retire.

Rédillon, le prenant. — Donnez-le moi ! (Il le tient sur le poing, de la main droite, pendant que, du bras gauche, il entoure la taille de Lucienne.)… Que je m’enivre de l’odeur de vos cheveux… Ah ! vous sentir ainsi près de moi,… et tout à moi !…

Il ferme les yeux, délicieusement.

Lucienne. — Est-ce que vous allez garder mon chapeau tout le temps comme ça ?…

Rédillon, se levant. — Non, attendez ! (Il va le poser sur la table et revient à Lucienne qui a changé de place. L’embrassant.) Ah ! c’est la première fois qu’il m’est permis d’effleurer votre peau de mes lèvres !

Lucienne. — C’est ça !… Vengez-nous ! Vengez-moi !

Rédillon. — Oh ! oui !

Lucienne. — À partir d’aujourd’hui, je ne suis plus la femme de M Vatelin, je suis votre femme… et vous m’épouserez !…

Rédillon. — Oh ! oui ! oui !

Lucienne, parlant dans la direction du fond. — Un homme que j’aimais, à qui j’avais tout donné,… ma tendresse, ma fidélité,… ma candeur de jeune fille.

Rédillon. — Oh ! non ! non ! Ecoutez ! Ne me parlez pas de votre mari… surtout en ce moment. Que son image ne soit pas là, entre nous ! Ah ! ma Lucienne adorée !…

Il se met à genoux face à elle.

Gérome, passant la tête au fond. — Je suis rentré !

Rédillon. — On n’entre pas !

Gérome. — Eh bien ! Qu’est-ce que tu fais là ?

Rédillon. — Est-ce que j’ai des comptes à vous rendre ! Allez-vous en !…

Gérome. — Oui !

Rédillon. — Et fermez la porte !

Gérome. — Pourquoi, t’as froid ?

Rédillon. — Parce que je vous le dis… et puis, n’entrez plus sans que je vous appelle.

Gérome, pousse un soupir et remonte, puis, au moment de sortir. — Je n’ai pas trouvé de haricots verts !

Rédillon. — Je m’en fiche !

Gérome.- Alors, j’ai pris des pommes de terre !

Il sort en fermant la porte.

Rédillon. — Je vous demande pardon ! C’est un vieux domestique de la famille, mais il se le tiendra pour dit, maintenant, allez !… (Toujours à ses genoux.) Ah ! Lucienne ! Laissez-moi vous presser dans mes bras !…

Lucienne. — Vous m’aimez, vous ?

Rédillon. — Si je vous aime !… Non, tenez, je ne suis pas bien comme ça… Je ne suis pas assez près de vous ! Faites-moi une petite place à côté de vous ! (Il s’assied à sa droite.) C’est ça !… Ah ! comme ça, je peux mieux vous presser contre mon cœur !

Lucienne. — Allons, la prédiction de la somnambule avait raison !

Rédillon, les yeux mi-clos. — Quelle prédiction ?

Lucienne. — Que j’aurais deux aventures romanesques dans ma