Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/199

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en secouant la tête.) C’est quand j’étais ainsi que mon mari me trouvait la plus belle ! suis-je vraiment belle ainsi ?

Pontagnac, retirant ses gants. — Oh ! oui, belle ! belle comme la princesse de Bagdad !

Lucienne. — Justement, je l’ai relue ce matin.

Pontagnac. — Pourquoi faire ?

Lucienne. — Parce que !… Parce ce je n’ai pas l’habitude de ce genre de vengeance. J’ai voulu être dans la note ! (Changeant de ton.) Et vous m’aimez ?

Pontagnac, la tenant dans ses bras. — Profondément !

Lucienne, à part. — Tiens, on dirait qu’il sait le texte ! (Haut.) Et toute votre vie sera à moi ?

Pontagnac. — Toute ma vie !

Lucienne, le quittant et passant 2. — C’est bien, allez vous asseoir !

Pontagnac, étonné. — Comment, que j’aille m’asseoir…

Lucienne. — Eh bien ! oui !

Pontagnac. — Mais je croyais…

Lucienne. — Ai-je dit le contraire ?… Mais s’il ne me plaît pas, comme ça, tout de suite ; s’il me convient de choisir mon moment, de me faire désirer. J’entends que l’homme qui m’aimera soit l’esclave docile de mes caprices. J’ai dit : "Asseyez-vous". Asseyez-vous !

Pontagnac. — Oui !

Il s’assied près de la table.

Lucienne, remontant un peu. — Bien !

Pontagnac. — Je vous ai obéi !

Lucienne, venant à lui. — C’est très bien ! Enlevez votre jaquette.

Pontagnac. — Plaît-il ?

Lucienne, gagnant la droite. — Enlevez votre jaquette ! je ne peux pas vous voir avec. Vous me rappelez mon mari.

Pontagnac. — Ah ! alors. Seulement, je vous préviens qu’en dessous, je suis en bras de chemise.

Lucienne, s’asseyant sur le divan. — Ca ne fait rien.

Pontagnac. — Bien. (Il enlève sa jaquette.) Et maintenant ?…

Lucienne. — Asseyez-vous là, près de moi.

Pontagnac, s’asseyant. — Voilà.

Lucienne. — Bon !

Moment de silence.

Pontagnac, après un temps. — Mais enfin, qu’est-ce qu’on attend ?

Lucienne. — Mon bon vouloir !

Pontagnac. — Ah !

Lucienne. — Tenez, enlevez votre gilet, vous avez l’air du déménageur comme cela.

Pontagnac. — Quoi ! vous voulez ?…

Lucienne. — Je vous en prie, et asseyez-vous !

Pontagnac, enlève son gilet qu’il pose également au fond. — C’est bien parce que vous me l’ordonnez. (S’asseyant.) Vous ne me trouvez pas bien ridicule comme ça ?

Lucienne. — Ne vous en inquiétez pas ! (Lui déboutonnant une bretelle.) C’est laid, ça !… C’est comme ces cheveux !… Qui est-ce qui vous coiffe comme ça ?… Une coiffure de maître d’hôtel.

Pontagnac, qui a déboutonné la seconde bretelle. — Oh !

Lucienne. — Tournez-vous donc ! (Lui hérissant les cheveux derrière la tête.) Là ! au moins, vous avez l’air d’un artiste.