Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/204

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Rédillon. — Enfin, j’en sais quelque chose, puisque c’est à moi qu’elle est venue proposer le rôle… que j’ai refusé, (À part.) et pour cause !…

Vatelin, lui tendant les mains. — Ah ! mon ami ! mon ami !

Rédillon, lui prenant les mains. — Et vous avez donné dans le panneau… Ah ! vous n’êtes guère tacticien !

Vatelin. — Je suis avoué.

Rédillon. — Voilà !

Vatelin. — Ah ! que je suis content !… (Sanglotant.) que je suis con… on… tent ! Ah ! là ! là !… Ah ! là ! là !

Il pleure dans ses mains.

Rédillon, le montrant. — La joie fait peur !

À ce moment, la porte du fond s’ouvre et Lucienne descend en scène, du même air arrogant ; elle s’arrête, étonnée, et regarde interrogativement Rédillon qui, mettant un doigt sur sa bouche, lui fait signe de se taire et d’écouter.

Vatelin. — Que je suis content !…

Rédillon. — Allons ! Allons ! calmez votre joie !

Vatelin. — Ah ! mon ami, soyez bon ! Allez trouver ma femme, dites-lui que je n’aime qu’elle, et faites-lui comprendre — ce qui est la vérité — qu’elle a en moi le plus fidèle des maris.

Rédillon. — Après votre équipée d’hier soir ?…

Vatelin. — Ah ! bien, si vous croyez que ça été pour mon plaisir, mon équipée d’hier soir ! J’aurais voulu que vous y assistassiez, à mon équipée d’hier soir !…

Rédillon. — J’aurais craint d’être indiscret !

Vatelin. — Oh ! vous auriez pu venir, allez ! ah ! là ! là ! sacrée Anglaise !… avec des pieds, non, j’aurais dû vous apporter une de ses bottines… Moi qui jamais, en dehors de cette… aventure d’outre-Manche — je sais bien que c’est idiot d’avouer ça — n’avais jamais trompé ma femme, il a fallu qu’une fois à Londres, un mois d’absence, pas de femme, — on n’est pas de bois — … Je croyais au moins que c’en était fini. Ah ! bien oui, elle est venue me relancer hier, jusque chez moi. On parle des maîtres chanteurs, on ne sait pas ce que c’est qu’une maîtresse chanteuse. Elle m’a menacé d’un esclandre, j’ai eu peur de troubler le bonheur de ma femme et j’ai cédé.

Rédillon. — Ah ! quel dommage que votre femme ne puisse pas vous entendre !

Il regarde Lucienne qui commence à s’attendrir.

Vatelin. — Ah ! oui, quel dommage qu’elle ne puisse pas m’entendre. Je sens que je la convaincrais, qu’elle me croirait ; je me ferais si petit, si repentant ! elle verrait tant d’amour dans mes yeux qu’elle n’aurait pas la force de me repousser et, dans cette main que je tends vers elle, elle mettrait sa petite main et j’entendrais sa voix adorée me dire : "Mon Crépin, je te pardonne !"

Rédillon a pris la main de Lucienne et la met dans celle de Vatelin.

Lucienne. — Mon Crépin, je te pardonne !…

Vatelin, se levant. — Toi ! ah ! méchante, que tu m’a fait mal !

Il tombe en sanglotant dans ses bras.

Lucienne. — Et toi, donc !…

Vatelin. — Je t’adore !

Lucienne. — Mon chéri !