Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/224

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Bretel, après avoir déposé le saladier sur la table. — Tiens ! du poulet, Madame ?…

Dora. — Merci !…

Elle se sert.

Bretel, présentant le plat à Lucien. — Et toi ?

Lucien, répétant tout en se servant. — "Et toi ?". Il est étonnant avec son tutoiement !

Bretel porte le plat sur le bahut, et prend un pilon qu’il va manger à l’avant-scène.

Lucien, à Dora. — Un peu de salade ?

Dora. — Oui !

Il sert Dora, puis se sert lui-même.

Lucien. — Pouah !… Qu’est-ce que c’est que ça ?

Dora. — Horreur !… ça sent la parfumerie !… Qu’est-ce que vous avez mis là-dedans ?

Bretel. — J’ai mis de l’huile, sais-tu, Madame, et puis du vinaigre du biberon-là, Madame.

Dora. — Du vinaigre de Bully… Mais c’est horrible !

Lucien. — Vous êtes donc absolument crétin !… (Voyant Bretel qui a la bouche pleine.) Et qu’est-ce que vous faites ?… Vous mangez du poulet ?…

Bretel. — Monsieur, ça est du…

Il s’étrangle en avalant de travers et tout en toussant, il se précipite vers le verre de Dora dont il avale le contenu.

Lucien. — Eh ! bien, ne vous gênez pas !… Quel domestique, mon Dieu !… Vous savez ce que je vous ai dit : "Vous pouvez faire vos paquets…"

Bretel. — Mais non !… ça est parce que, Monsieur, tu es habitué au service de Paris… Moi, je suis le service belge…

Lucien. — Il est joli, le service belge !… Et qu’est-ce que nous avons avec ça ?

Bretel. — Mais, rien !…

Lucien. — C’est pas lourd !… Charmant déjeuner !

Dora. — Pour un déjeuner qui est peut-être notre dernier…

Lucien. — Ah ! ne dis pas ça… Tu me crèves le cœur… Tu vois bien que je me fais violence…

Dora. — Oui ?… Oh ! mais, jure-moi que tu ne me trompes pas… Elle est bien vieille, hein ?…

Lucien. — Qui ?

Dora. — Ta sinécure… Tu ne vas pas épouser une jeune fille, hein ?

Lucien. — Moi ?… Mais non… voyons ! C’est-à-dire qu’on me proposerait toutes les jeunes filles, eussent-elles quarante ans… je n’en voudrais pas !…

Dora. — Ah ! oui… car ce serait affreux !

Bretel. — N’aie pas peur, Madame… Il n’en voudrait pas…

Lucien. — Qui vous demande l’heure qu’il est ? (on sonne)… Tenez, on sonne… allez voir qui c’est… (sortie de Bretel) Il en a une couche !…

Bretel, revenant. — Monsieur, c’est la vieille dame de tout à l’heure.

Lucien, à part. — Ma marraine, fichtre !… (À Dora.) Justement, c’est la fiancée en question… Entre là, dans le cabinet de toilette… qu’elle