Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/23

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Julie et Lanoix, lisant de nouveau. — "L’on ne force pas ses sentiments ! Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre !…"

Julie, éclatant de rire. — Ah ! que c’est drôle !

Lanoix. — Elle est bien bonne.

Julie. — Comment, vrai ! vous ne m’aimez pas ?

Lanoix. — Ni vous non plus ?

Julie. — Ah ! que je suis heureuse !

Lanoix. — Et moi donc !

Julie. — Dites donc, mais je devrais me froisser… que je ne vous aime pas, moi, je le comprends… mais vous, ça me vexe…

Lanoix. — Je pourrais vous en dire autant.

Julie. — Mais, n’ayez pas peur, je ne vous en veux pas… Au fait, dites donc… vous n’avez plus votre tic ?

Lanoix. — Mon tic ?

Julie. — Oui, vous savez bien, comme ça…

Elle imite Lanoix quand il tourne la langue.

Lanoix. — Ce n’est pas un tic… c’est une précaution… C’est maman qui me l’a ordonné…

Julie. — Ah ! bien. C’est comme moi, mon… "une, deux, trois, quatre…" C’est une recommandation de papa… Ah ! bien, j’aime autant ça, je me disais : Oh ! pauvre jeune homme !…

Lanoix. — C’est comme moi, je pensais : c’est pas possible, elle a avalé un métronome !

Julie. — Ah ! comme nous allons nous entendre maintenant que nous ne nous épousons plus,

Ils gagnent la droite.

Lanoix. — Je crois bien !… (Tendant la main.) Amis ?

Julie. — Amis. Et maintenant, soyons diplomates… jusqu’à nouvel ordre, pour tout le monde nous restons ce que nous sommes… C’est le seul moyen de conserver notre liberté, et nous aurons tout le loisir de prendre une décision.

Lanoix. — Entendu,… donc, comme si de rien n’était…

Julie. — Attention ! voilà ma belle-mère.

Lanoix, saluant Marthe qui entre de gauche. — Madame…

Marthe, entrant de gauche. — Ne vous dérangez pas… ne vous dérangez pas. Dis donc, tu n’as pas vu le ténor, fillette ?

Julie. — Non.

Marthe. — Je le cherche… il faut que je lui rende ses six sous… Voyons, il n’y a pas un morceau de papier pour envelopper… c’est plus convenable pour remettre de l’argent.

Lanoix. — Allons, c’est convenu… nous restons fiancés aux yeux du monde… Et maintenant (Imitant Julie.) une, deux, trois, quatre… une, deux, trois, quatre. Je vous demande la permission de vous quitter.

Julie, tournant sept fois sa langue. — Mais faites donc, cher monsieur !

Lanoix, passant au deuxième plan. — Elle est charmante.

Julie. — Il gagne beaucoup comme ami…

Elle remonte.

Marthe. — Vous partez, monsieur ?

Lanoix. — J’y suis forcé, madame,… car… ma mère… m’attend.

Il sort par le fond avec Julie.