Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/246

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Joseph. — Les huîtres, Monsieur le Baron ?

Fauconnet. — C’est bien ! (Joseph, apercevant Artémise sans masque ne peut réprimer une moue qui n’échappe pas à Fauconnet, lequel n’a pas cessé de l’observer depuis son entrée. Allant à Joseph au moment où celui-ci arrive sans le voir, occupé qu’il est à considérer Artémise, brusquement.) Elle est laide, hein ?

Joseph, sursautant et se défendant de toute appréciation : — Oh !

Fauconnet, comme pour s’excuser. — J’la connais pas, vous savez, j’la connais pas ! (Joseph indique par gestes que cela ne le regarde pas.) Oh ! mais (à part) Je m’en fiche, moi, d’elle… Je ne veux pas qu’il croie que… Ah ! non !

Paraît un sommelier qui apporte le champagne et une carafe frappée ; il place la carafe sur la table et va au fond pour déboucher le champagne.

Artémise. — Eh bien ?

Fauconnet, regagnant sa place. — Hein ? voilà ! (Avec découragement.) Oh ! non !… il me semble que je soupe avec sa mère !

Joseph, à Fauconnet. — Monsieur, il ne reste plus de cailles en bellevue !

Fauconnet. — Ah ! il ne reste plus !… Ca ne fait rien !… ça ne fait rien. Vous nous donnerez un bon rumsteck aux pommes sautées. (à Artémise) Hein ! n’est-ce pas, c’est très bon ?

Artémise, avec une moue. — Hô !

Fauconnet. — Mais si !… pour la dyspepsie… c’est très sain, vous devez être dyspeptique.

Artémise. — Mais pas du tout.

Fauconnet. — Vous ne l’êtes pas ? Tiens ! Ah ! moi, je le suis… (A Joseph.) Un rumsteck, allez !…

Joseph. — Bien, M. le Baron !

Il sort. Le sommelier, qui a débouché le champagne, place la bouteille sur la table et sort.

Fauconnet. — Là ! (Il commence à manger des huîtres.) Ah ! ça ! mais qu’est-ce qu’il fait donc, Gentillac ?… En voilà une façon de nous laisser en tête-à-tête.

Artémise, tendre. — C’est peut-être par discrétion !…

Fauconnet. — Oh ! qu’est-ce qu’il croit donc ?

Artémise. — Eh ! dame !… voyons, hein ?… (cherchant son nom). Euh ! comment ?…

Fauconnet. — Quoi ?… Mon nom ?… Fauconnet.

Artémise, câline. — Non ! l’autre ? le petit ?

Fauconnet. — Ah ! Euh ! Jérôme !

Artémise. — Moi, Artémise !

Fauconnet. — Vraiment ! (avec une admiration narquoise). Ah ! charmant !

Artémise, mettant son lorgnon. — Pendant que nous sommes seuls… parlez-moi franchement.

Fauconnet, à part. — Oh !… le lorgnon !

Artémise. — J’ai besoin de le savoir. Est-ce que je vous plais ?

Fauconnet. — Quoi ? Oh ! certainement !

Artémise. — Ne dites pas certainement… dites : "oui ! "

Fauconnet. — Oui, oui !

Artémise. — Pas "oui, oui". Oui.

Fauconnet, se levant. — Mais oui !… Oh ! qu’est-ce qu’il fait donc, Gentillac ?… (Voyant Gentillac qui entre.) Eh ! arrive donc, toi !