Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/35

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a pas d’illusion à se faire… Voyez-vous, il faut en rabattre… on n’est plus femme à exciter des passions.

Amandine, à part. — Est-elle impertinente !… (Sèchement.) Sachez qu’on est aussi bien en état d’exciter des passions que certaines personnes..

Marthe. — Ce serait de la fatuité de le penser…

Amandine. — Tout le monde ne dit pas comme vous… Si la Colonne Vendôme pouvait parler…

Marthe. — La Colonne Vendôme n’a rien à faire là-dedans.

Amandine. — Je vous demande pardon… Moi au moins je n’avance rien sans pièces à l’appui… C’est bien facile de parler… Ce qu’il faut… c’est prouver… Or, tout le monde n’en sortirait pas de sa poche, des colonnes Vendôme…

Marthe. — Qu’est-ce qu’elle raconte ?

Amandine. — Enfin, ma chère, je trouve ce que vous avez dit très déplacé… Et je ne me gêne pas pour vous le dire.

Elle se lève.

Marthe, à part,- Quelle bonne amie !… Elle me défend même contre moi-même. (Haut, se levant,) Allons… voyons… mettons que je n’ai rien dit…

Amandine. — Permettez… Vous avez dit "objet" !

Marthe. — Eh bien !… Je le retire… là… tout ça n’est pas sérieux…

Amandine. — Vrai !… c’est pas sérieux ?- Ah ! bien… tant mieux… parce que ça me faisait de la peine…

Marthe. — Quel cœur !

Amandine. — Et vous ne direz plus qu’on n’est pas femme à faire des passions…

Marthe. — Non, là !… ça… ça se dit… C’est pour ne pas avoir l’air de se faire des compliments…

Amandine. — Qu’est-ce que ça fait, entre nous ?

Marthe. — Eh bien !… Je dirai, si vous voulez, qu’on est la plus belle, la plus charmante, la plus exquise de toutes les femmes.

Amandine. — Oh ! vous allez d’un excès à l’autre… non… passable… seulement.

Marthe. — Comment, passable ?

Amandine. — On n’a pas des attraits… des attraits… mais enfin… je vous assure qu’on comprend très bien qu’un homme pas trop vieux… ou bien alors très jeune… qui n’a pas trop l’embarras du choix…

Marthe. — Oh ! Mais !… elle me bêche à présent…

Amandine. — Enfin, on a vu des choses comme ça… Voyez plutôt la Colonne Vendôme…

Marthe. — Eh ! la Colonne… la Colonne… quand ce serait même la Bastille. (À part.) Elle m’ennuie à la fin…

Amandine. — Qu’avez-vous

Marthe. — Je trouve vos propos de mauvais goût.

Amandine. — Moi !… Oh ! vous êtes trop indulgente pour moi.

Marthe. — On ne parle pas ainsi des gens.

Amandine. — Ah !… quand ils vous touchent d’aussi près… Enfin, c’est bon… si j’ai été trop loin… je retire… le fait est que j’ai été trop sévère… mais je n’en pense pas un mot,

Marthe. — À la bonne heure !

Amandine. — Quelle excellente amie…

Elles se serrent la main…