Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/77

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Thommereux. — Aristide Thommereux. (Passant à droite.) Ou plutôt non ! Annoncez : "Un ami, retour de Batavia".

Il descend.

Sophie, descendant. — De Batavia… Ça doit être loin, ça…

Thommereux — Pffeu ! C’est… de l’autre côté de l’eau.

Sophie. — C’est bien ce que je disais.

Thommereux. — Et dites-moi, ma fille ! Alors, c’est vrai la nouvelle qui est venue jusqu’à moi ?

Sophie. — Quoi donc, monsieur ?

Thommereux. — Il n’est plus, ce pauvre Robineau ?…

Sophie. — M. Robineau ?… Ah ! Voilà deux ans !

Thommereux. — Oui, deux ans ! et l’on dit que le temps efface le chagrin ! Pauvre ami, il y a deux ans et je le pleure encore !

Sophie. — Vous ne le savez peut-être pas depuis longtemps !

Thommereux. — … Depuis un quart d’heure. En descendant du chemin de fer, j’ai couru à l’ancienne demeure des Robineau… Là, on m’a appris la perte de mon ami… un ami que j’aimais comme un frère… J’ai demandé l’adresse de sa veuve et me voilà… Ah ! ça a été un coup pour moi !

Sophie, poussant un soupir de complaisance. — Ah !…

Thommereux, soupirant aussi. — Ah ! Et ici alors ?

Sophie. — Ici ? Oh ! Bien… On y est habitué…

Thommereux, regardant le tableau. — Le voilà, tel que je l’ai connu… C’est bien lui ! embelli, mais bien lui !

Sophie. — Je vais prévenir Madame.

Thommereux. — Oui, allez !

Elle sort, à gauche, premier plan.

Scène 8

Thommereux, puis Angèle

Thommereux, au tableau. — Mon pauvre ami… Je vais donc pouvoir épouser ta femme maintenant ! Je vais pouvoir prendre ta place sans te faire une saleté… J’aurais pu l’occuper de ton vivant, peut-être… mais j’ai préféré m’expatrier plutôt que de m’exposer à la tentation de tromper un ami que j’aimais comme un frère… Car je t’aimais de toute la force de mon affection… Tu m’avais rendu un de ces services qui vous attachent pour la vie. J’allais me marier… une femme charmante qui m’avait offert sa main d’elle-même… J’allais convoler… Tu es venu à moi et m’as dit : "Ne l’épouse pas ! Je flaire que tu le regretterais !" Je ne l’ai pas épousée… et trois mois après, elle était mère… Ce n’était pas par amour qu’elle m’avait offert sa main… Tu me sus toujours gré du service que tu m’avais rendu ! Dès ce jour, je fus chez moi chez toi ! "Tout ce qui est à moi est à toi, — m’as-tu dit, — tout, excepté ma femme !" (À part.) Pourquoi juste excepter sa femme ? (Au tableau.) Hélas, ça ne devait pas manquer… Je peux te l’avouer maintenant… J’en devins follement amoureux… brusquement… sans savoir comment… par une journée d’orage… il faisait chaud, elle avait une chenille qui se promenait sur son cou… Elle me dit : "Oh ! enlevez-moi cette bête !" Je m’approchai poliment… sans penser… mais son cou était là… avec des cheveux, un cou qui faisait papilloter mes yeux… un cou qui me paraissait long