Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/78

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d’une lieue dans le vague. Alors, j’ai vu blond… un baiser, m’a échappé… il paraît ! Je ne me suis pas rendu compte !… J’entendis la voix de notre Angèle dans un rêve : "Oh ! c’est bien mal ce que nous faisons là !" ça m’a fait peur, alors je me suis sauvé comme un fou… mon cœur battait… J’ai pris un cachet d’antipyrine tout de suite, pour envisager la situation nettement et, le lendemain, j’acceptais un poste de consul à Batavia … Voilà, Robineau, ce que j’ai fait pour toi… Je suis parti… sans regarder en arrière… jusqu’à Batavia, parce que j’étais un vrai ami pour toi ! Je me disais : tu n’as pas le droit de songer à sa femme tant qu’il est là… Mais ne te désespère pas… Robineau fait une noce carabinée, il y laissera sa peau… Alors, tu pourras reparaître, épouser sa femme sans remords… Ce n’est plus le bien d’un ami que tu déroberas, c’est sa succession que tu recueilleras et ça se fait dans les familles les plus unies !… J’ai attendu… tu n’es plus ! Et me voilà !

Angèle, entrant de gauche, premier Plan. — Ah çà ! Quel peut être ce revenant de Batavia ?

Thommereux. — Angèle !

Angèle. — Vous !

Thommereux. — Ah ! Angèle, quelle joie de vous revoir !

Angèle. — Mais vous, mon ami, qu’êtes-vous devenu ?

Thommereux. — Je me suis exilé… parce que je vous aimais…

Angèle. — Taisez-vous !

Thommereux. — Et que je n’avais pas le droit de vous le dire… Ah ! Angèle, comme c’est peu de chose la vie !

Angèle. — Pourquoi me dites-vous ça ?

Thommereux. — Par quelles épreuves il faut passer. (Angèle regarde étonnée Thommereux, la figure allongée, montrant le tableau.) Le voilà, ce cher ami ! Pauvre femme !… avec quel culte vous gardez son image !…

Angèle, passant à droite. — Hein ? Robineau ?… Ah ! bien ! Parlons-en, de lui ! C’est un joli coco !

Thommereux — Quoi ?

Angèle. — Vous avez cru comme moi que c’était un mari fidèle, un époux modèle…

Thommereux. — Jamais !

Angèle. — Eh ! bien ! il m’a trompée… trompée toute sa vie ! Ah ! je vous conseille de le pleurer !

Thommereux. — Angèle, ce que vous me dites là me fait de la peine… et en même temps me ravit de joie…

Angèle. — Pourquoi ?

Thommereux. — Parce que, s’il en est ainsi, je puis me dire que je n’aurai pas à souffrir de son souvenir… parce que si jamais vous faites une comparaison, elle ne pourra être qu’à mon avantage.

Angèle. — Comment ! Mais à quel propos ?

Thommereux. — À quel propos ? Mais à ce propos qu’il n’y a plus d’obstacle entre nous ! Que je vous aime et que je viens vous dire : épousons-nous !

Angèle. — Hein ? Nous ! (Éclatant de rire.) Ah ! Ah ! Ah ! Mon pauvre ami !

Thommereux. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Angèle. — Vous épouser, vous ! Mais il n’y a à cela qu’un tout petit obstacle !

Thommereux. — Je le franchirai !

Angèle. — Mon mari !