Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/94

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Elle reprend sa position, le sourire aux lèvres et regarde Ribadier.

Savinet. — C’est vous qui étiez tout à l’heure chez madame Savinet quand je suis arrivé inopinément ! Vous qui, en m’entendant, vous êtes revêtu à la hâte ! Et vous êtes enfui par le salon pendant que j’entrais par le couloir !… Mais pas assez vite pour que je ne puisse m’élancer sur vos traces !

Il gagne la droite.

Angèle. — Canaille ! Canaille ! Canaille !

Même jeu.

Ribadier, après avoir regardé Angèle. — Eh ! Monsieur, je ne sais ce que vous voulez dire ! Si madame votre femme a un amant, ce n’est pas moi ! Vous vous serez trompé de piste dans la rue.

Savinet. — En vérité ! Alors, monsieur, comment se fait-il que vous ayez mon chapeau, tandis que j’ai le vôtre ? (Il met le chapeau qu’il tient à la main sur sa tête tandis que Ribadier en fait machinalement autant de celui qu’il tient.) Vous vous êtes trompé de chapeau dans l’antichambre, monsieur !

Ils échangent leurs chapeaux.

Ribadier. — Eh ! bien, oui, là, monsieur, trève de mensonges ! C’est moi qui étais chez madame Savinet !

Savinet. — Allons donc ! C’est ce que je voulais vous faire dire !

Angèle bondit comme précédemment, puis se ravisant retombe sur sa chaise.

Angèle, à part. — Oh ! je l’étranglerai !

Ribadier. — Enfin, monsieur, où voulez-vous en venir ?

Savinet. — Où je veux en venir ? Il demande où je veux en venir ! Monsieur, vous m’avez couvert de ridicule !

Ribadier. — Permettez !

Savinet. — Si, si. Je sais ce que je dis : un mari trompé est toujours ridicule. Je ne sais pas si madame votre femme vous a mis en état de l’apprécier.

Ribadier. — Ah ! Mais pardon, monsieur…

Savinet. — Oui, vous n’en savez rien, elle ne vous l’a pas dit ! Eh bien ! monsieur, je ne suis pas un homme d’épée, moi, je suis marchand de vins ! Mais retenez bien ceci : si jamais vous dites à qui que ce soit que vous êtes l’amant de ma femme, je vous tuerai.

Ribadier. — Hein ?

Savinet. — Parfaitement ! Je ne tiens pas à me battre, moi ! En somme, pour qui se bat-on ? C’est pour la société, Eh bien ! du moment que la société n’est pas au courant…

Ribadier. — Ah ! ça, c’est assez juste !

Savinet. — Donc, tout ce que je vous demande, c’est qu’on ne sache rien. Dans quelque temps, je divorcerai d’avec ma femme et personne ne se sera douté de la vérité. Je vous le répète, je suis marchand de vins, et je ne veux pas d’un scandale qui me causerait le plus grand préjudice dans mes affaires et me déconsidérerait à Bercy.

Ribadier. — Ah ! vraiment, ça vous…

Savinet. — À Bercy ? Oh ! là ! là ! Vous ne les connaissez pas !… Mais un marchand de vins qui serait soupçonné d’être… mais il ne tiendrait pas huit jours !

Ribadier. — Ah ! bah !

Savinet. — Donc, monsieur, j’exige votre silence !