Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/162

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Rudebeuf. — Vous étiez au théâtre ?

Madame Grosbois. — Oui, monsieur.

Rudebeuf. — Le drame ? La comédie ?

Madame Grosbois. — Non ! Le cirque. J’étais écuyère et je traversais des petits cerceaux.

Rudebeuf. — Ah ! elle est bonne ! Je vous demande pardon.

Madame Grosbois. — Ca ne fait rien.

Rudebeuf. — Eh ! bien, madame Grosbois, ce n’est pas la première fois que je viens à votre garage. J’étais déjà venu avant-hier pour acheter des lunettes. J’en ai acheté d’ailleurs. Seulement, j’en voudrais…

Madame Grosbois. — Vous n’êtes pas content de celles qu’on vous a vendues ?

Rudebeuf. — Enchanté !… Elles sont élégantes. Et l’automobile n’exclut pas l’élégance, au contraire !

Herlaut. — Oh ! là ! là !

Rudebeuf. — Quoi ? "Oh ! là, là !…" Il n’y a qu’à me regarder. Mais aujourd’hui, c’est… c’est monsieur qui veut des lunettes !…

Herlaut. — Moi ?

Rudebeuf, vivement. — Oui, tu veux des lunettes. (Changeant de ton.) C’est toujours la petite dame brune qui vend des lunettes, n’est-ce pas ?

Madame Grosbois. — Certainement ! Des lunettes, des manteaux de tussor, des petites casquettes pour la route. Nous vendons de tout ça. Et c’est coquet, je vous assure. Je vais vous chercher des lunettes.

Rudebeuf. — Non, non, rien ne presse. Tout à l’heure, quand la petite dame brune !… Car elle va venir, n’est-ce pas, la petite dame brune ?

Madame Grosbois. — Ma nièce ?

Rudebeuf. — Ah ! c’est votre nièce ! Je vous félicite. C’est une jeune fille ?

Madame Grosbois. — C’est une jeune fille… en ce sens qu’elle n’est pas mariée. Elle est avec Etienne, mon chef mécanicien.

Rudebeuf. — Vous lui avez laissé faire ça ?

Madame Grosbois. — C’est une liaison qui ne durera pas. Elle n’est fondée que sur l’amour. (A Jourdain.) Ca va, là-bas ?

Jourdain. — Je n’y comprends rien, rien. Les cylindres donnent. Le différentiel est en état. Je n’y comprends rien, rien.

Herlaut, à Rudebeuf. — Dis-donc, nous avons rendez-vous avec Le Brison et tu m’as l’air d’avoir une panne sérieuse.

Rudebeuf. — D’autant plus sérieuse qu’il n’y a pas de panne.

Herlaut. — Comment ?

Rudebeuf. — Madame Grosbois, à quelle heure arrive votre nièce ?

Madame Grosbois. — Dans une demi-heure. Si ces messieurs veulent attendre ?

Rudebeuf. — Je vais fumer une cigarette devant la porte. (A Herlaut.) Va chez le Brison et excuse-moi. Qu’il vienne me prendre pour déjeuner. Je ne démarre pas de ce garage. Tu comprends, comme il n’y a pas de panne, ils ont le temps de chercher.

Jourdain. — Hé ! monsieur ! monsieur !… elle marche !… elle marche maintenant !…

Rudebeuf. — Ne croyez pas ça !… Elle marche comme ça dans le garage. Mais sur la route, au bout de dix minutes, elle s’arrête. A tout à l’heure, madame Grosbois.

Madame Grosbois. — A tout à l’heure, messieurs, et très heureuse !…

Scène II

Madame Grosbois, Gabrielle, Etienne.