Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/164

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voiture. Et vous ajouterez ce détail technique : c’est une réparation de 250 francs.

Madame Grosbois. — Ah !

Etienne. — D’ici demain soir, Jourdain aura le temps de trouver ce qu’il y a.

Madame Grosbois. — Etienne, vous êtes un garçon d’avenir.

Etienne. — Je connais la partie, voilà tout.

Madame Grosbois. — Si ça réussit, vous aurez dix pour cent.

Gabrielle, au fond. — Ma tante, on te demande dans la remise. C’est pour la Charron.

Madame Grosbois. — J’y vais.

Elle sort.

Etienne. — Dix pour cent : 25 francs. J’offrirai une montre en argent à la gosse.

Jourdain. — Tiens ! c’est les gens comme toi qui font dire : les mécaniciens sont des arrangeurs.

Etienne. — Parle pas de notre partie. Tu n’y connais rien.

Jourdain. — Je n’y connais riens ?… J’suis aussi bon mécanicien que toi !

Etienne. — Meilleur ! Mais tu n’y connais rien. Toute ta vie, tu la passeras à découvrir des moteurs qui tapent, ou à retaper des chignolles loupées. Le mieux qui puisse t’arriver, c’est d’être un jour contremaître dans une usine ou bien chef de fabrication. Cinq cents francs par mois.

Jourdain. — Je m’en contenterais.

Etienne, avec mépris. — Mécano, va !

Jourdain. — Mais, nom d’une brique, c’est notre métier, à nous.

Etienne. — Ton métier à toi, pas le mien.

Jourdain. — Qu’est-ce que tu es de plus ?

Etienne. — Rien encore. Mais attends que je sois dans une boîte qui marche, et tu verras ça !

Jourdain. — A quoi ça te mènera ? T’es pas ingénieur !

Etienne. — Ingénieur ? Tu connais un ingénieur qui ait fait fortune dans l’auto, toi ?

Jourdain. — Oui !…

Etienne. — Dis voir.

Jourdain. — En tout cas, c’est pas facile.

Etienne. — Crois donc pas ça. Faudrait faire une invention et il n’y a plus d’invention à faire. Il n’y a que des perfectionnements. Pour ça, pas la peine d’avoir ses diplômes. Tiens ! sais-tu pourquoi je me suis mis dans l’auto, moi qui ai horreur de démonter un châssis ?

Jourdain. — Tu n’aimes pas ça ?

Etienne. — J’ai ça en horreur. C’est compliqué et ça pue la graisse. Je me suis mis là-dedans parce que je me suis dit : "Mon petit, tu es intelligent, tu n’as pas le sou et tu veux faire fortune." (A Gabrielle qui est entrée.) Tu n’es pas de trop, la gosse. "Eh ! bien, il y a un métier d’autant plus épatant que, quand on est un peu verni, et qu’on sait y faire, il a tous les avantages d’une carrière libérale, c’est l’auto."

Jourdain. — Une carrière libérale ?

Gabrielle. — Une carrière libérale et un sport.

Etienne. — Mais, mon vieux, l’auto, c’est pas un métier comme un autre, c’est encore trop neuf. En tous cas, ça n’est un métier manuel que pour les poires comme toi. Pour les autres, c’est une vocation, comme qui dirait une ambassade. A preuve, tous les petits blancs-becs de famille qui