Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/170

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Rudebeuf. — Oui. Eh bien ?

Madame Grosbois. — Eh bien ! Au bout d’un mois, la jeune lingère était plaquée avec deux louis dans sa poche, et la voiture au mois.

Rudebeuf. — La voiture était payée ?

Madame Grosbois. — Non. Heureusement, car le propriétaire de la voiture, un gros marchand de chevaux, qui, le lendemain, était venu lui réclamer le montant de la location, se mettait avec elle le soir même. Il la quitta comme un mufle, mais comme il lui avait appris à faire de la haute école, et qu’un jour, le Comte Amaury de Chatel-Tarraut…

Rudebeuf. — Madame Grosbois, vos histoires me passionnent, mais aujourd’hui…

Madame Grosbois. — Je me résume… Je veux que ma nièce soit heureuse. Je me suis juré que son premier amant la mettrait à l’abri du besoin. En somme, son premier amant, c’est le mécanicien. Mais comme ce n’est que de l’amour, ça ne compte pas. Donc…

Rudebeuf. — Madame Grosbois n’insistez pas. Mes usines font chaque année pour dix millions d’affaires ; et, personnellement, je gagne cinq cent mille francs par an.

Madame Grosbois. — Vous ?

Rudebeuf. — Oui. Je n’en ai pas l’air, n’est-ce pas ?… J’ai l’air d’un homme du monde.

Madame Grosbois.- Oh, oui.

Rudebeuf. — Je suis surtout un homme du monde. Et même pour ces affaires, j’ai un associé.

Madame Grosbois. — Vous avez raison.

Rudebeuf. — Un petit associé, un secrétaire.

Madame Grosbois. — L’important, c’est les cinq cent mille francs par an.

Rudebeuf. — Il n’y que ça qui compte. Eh ! bien, si votre nièce consent à quitter votre garage, je lui achète un hôtel.

Madame Grosbois. — A son nom ?

Rudebeuf. — Ça va de soi. Je lui offre dix mille francs…

Madame Grosbois. — Par semaine ?

Rudebeuf. — Ah ! non… par mois. Et le jour où je la quitterai, la somme rondelette de deux cent cinquante mille francs.

Madame Grosbois. — J’habiterai avec elle ?

Rudebeuf. — Si vous voulez, mais je n’insiste pas.

Madame Grosbois. — C’est à prendre ou à laisser.

Rudebeuf.- En ce cas, avec plaisir. Bien entendu, plus de jeune mécanicien.

Madame Grosbois. — Hum ! Ça sera dur.

Rudebeuf. — Vous ne voulez pourtant pas qu’il vienne, lui aussi, habiter avec nous ?

Madame Grosbois. — Je le voudrais que ça serait le même prix.

Rudebeuf.- Pas pour moi. Voyons, ça ne doit pas être bien difficile.

Madame Grosbois. — Attendez, il y aurait un moyen.

Rudebeuf. — Lequel ?

Madame Grosbois. — Vous devez avoir beaucoup de relations, et dans tous les mondes ?

Rudebeuf. — Dans presque tous les mondes, sans me vanter.

Madame Grosbois. — Dans le monde de l’auto aussi.

Rudebeuf. — Ça, je vous en réponds.