Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/172

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Gabrielle. — Le bon Dieu, tu sais, connaît tout le monde. (Bas, à Mme Grosbois.) Tu fais une gaffe !

Etienne. — Et qu’est-ce qu’il offre à Gabrielle ? Tu t’en doutes, toi ?

Gabrielle. — Non

Madame Grosbois. — Je vais vous le dire.

Gabrielle. — Pas la peine, je refuse.

Madame Grosbois. — Tu es folle, mon enfant !

Gabrielle. — Non. Je m’en bats l’œil. Maintenant, si tu tiens absolument à user ta salive.

Madame Grosbois. — Ah ! Mais non ! Je t’ai élevée et je suis ta tante ! Regarde Etienne comme il est raisonnable.

Gabrielle. — Naturellement. Il ne se doute de rien.

Etienne. — Non, mais je commence. Si c’est ce que je crois, je me trouve honoré.

Madame Grosbois. — Ah ! taisez-vous tous les deux. Je n’ai en vue que votre bonheur. Je vous défends d’en douter. Je vous aime, vous le savez, n’est-ce pas ?

Gabrielle. — Tu nous aimes à ta façon. Nous avons la nôtre.

Madame Grosbois. — Je ne vous ai jamais donné que de bons conseils. La preuve c’est que, lorsqu’il y a six mois, vous êtes venus me trouver en me disant : "Tante Grosbois, on se plaît, on veut se mettre ensemble", moi, je vous ai approuvés. Pourquoi ? Parce que si je vous avais désapprouvés, vous vous seriez mis ensemble tout de même. Mais je vous ai prévenus. Je m’entends encore : "Mes petits, vous êtes ambitieux, roublards, et vous n’osez le dire ni l’un ni l’autre ; si vous restez ensemble, vous êtes fichus. Au contraire, chacun de votre côté ; vous pourriez arriver très loin, vous Etienne, parce que vous êtes dans l’automobile et que vous êtes une ficelle…"

Gabrielle. — Ça, c’est vrai !

Madame Grosbois. — "Toi, petite, parce que tu es jolie. Et que, lorsqu’une femme qui est jolie ne tient pas à se marier, elle a le droit de tout attendre de l’existence". Et j’ai ajouté…

Etienne. — Ah ! ah !

Gabrielle, s’asseyant sur les genoux d’Etienne. — Donne tes genoux, le gosse. Ne te fâche pas. Elle va dire des bêtises.

Madame Grosbois. — Maintenant, pour ce que j’ai à vous dire, il vaudrait mieux que vous ne fussiez pas assis sur la même chaise.

Gabrielle. — Au contraire. Tu n’y connais rien !

Elle embrasse Etienne.

Madame Grosbois. — Gabrielle, lève-toi ! (Gabrielle se lève.) Prends une chaise et ne bouge plus.

Mme Grosbois s’assied entre Gabrielle et Etienne.

Etienne. — Et vous avez ajouté ?

Madame Grosbois. — "Donc, rien d’irréparable entre vous, mais ne faites pas d’enfants. Ne faites pas de sentiment. A part ça, faites tout ce que vous voudrez. Le jour viendra où vous serez heureux d’avoir écouté la tante Grosbois et de reprendre votre liberté." Eh bien ! ce jour est arrivé. Vous vous êtes aimés pendant six mois, et vous n’en aviez pas les moyens. C’est énorme ! C’est énorme ! Mais c’est fini. Voilà, mes chers petits ! (Elle leur prend les mains.) Je vous aime bien.

Etienne. — Patronne, vous n’êtes pas claire ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Gabrielle. — Ça veut dire, mon gosse, que M. Rudebeuf… si tu veux bien… te propose de courir…

Madame Grosbois. —