Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/173

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Tais-toi. Tu vas le dire très mal. Etienne, vous courrez dans un mois sur une Rudebeuf, c’est entendu. C’est irrévocable, c’est fait.

Etienne. — Mais…

Madame Grosbois. — Il n’y a pas de "mais"… C’est entendu ! Mais à Gabrielle… il offre dix mille francs par mois.

Gabrielle. — Comment ?

Madame Grosbois. — Oui, ma petite. Cent vingt mille francs par an, plus un hôtel.

Etienne. — Elle est pommée !

Madame Grosbois. — Un hôtel qu’il m’a supplié d’habiter avec toi. J’ai fini par accepter.

Etienne. — Alors, quoi ! Tu le connaissais ? Il t’a fait la cour ?

Gabrielle. — Je ne le connais que depuis avant-hier.

Etienne. — Et on a pensé que je mangerais de ce pain-là ?

Madame Grosbois. — Ah ! Etienne, refusez de courir, si vous voulez, mais n’influencez pas Gabrielle.

Etienne. — Madame Grosbois, regardez-moi. La prochaine fois que vous répéterez des propositions comme ça à Gabrielle, bien que vous soyez sa tante et que vous soyez une femme, parole d’honneur, je vous fous sur le caisson.

Madame Grosbois. — Qu’est-ce que vous dites ?

Etienne. — Ce n’est pas que j’ai perdu la confiance en la môme. Mais dans tout ménage, il y a des discussions, des propositions comme ça ; un jour d’orage, la petite peut perdre la tête.

Gabrielle. — Oh ! ce gosse !

Etienne. — Sufficit, j’ai dit.

Madame Grosbois. — Ah ! Taisez-vous à la fin. Pour qui nous prenez-vous ? Gabrielle est ma nièce, elle n’est pas votre femme. Vous n’êtes rien l’un pour l’autre, vous vous aimez, voilà tout.

Etienne. — Eh bien ! c’est ce qui vous trompe ; c’est ma femme !

Madame Grosbois. — Quoi ?

Gabrielle. — Etienne !

Etienne. — Ah ! tant pis !… il faut lui dire. Ça recommencerait tous les jours, cette histoire-là !

Madame Grosbois. — Qu’est-ce… qu’est-ce que vous avez dit ?

Gabrielle. — Ma tante, on ne voulait pas te l’avouer pour ne pas te faire de la peine ; mais on s’aimait, alors…

Etienne. — Il y a deux mois qu’on est mariés, Valentine. (Il se met à genoux.) Je suis votre neveu, donnez-moi votre bénédiction.

Madame Grosbois. — Ah ! les cochons !…

Etienne. — Amen !… Je vous remercie.

Il se relève.

Madame Grosbois. — C’est moi qui les ai collés ensemble - et ils se marient. Ah ! les cochons !…

Elle s’effondre sur une chaise.

Gabrielle. — Ma tante !…

Madame Grosbois. — Je ne te connais plus.

Etienne. — Laisse-la, les grandes douleurs sont muettes.

Madame Grosbois. — Mariés ! C’est irréparable. Même avec le divorce, ça nous recule de cinq ans.

Gabrielle. — Ne te mets pas dans ces états-là. On t’aime bien et…