Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/198

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Etienne. — Patronne, patronne, si M. Le Brison…

Phèdre. — Ah ! Le Brison ! Quand je te considère à côté de lui et que j’établis un parallèle !…

Etienne. — Patronne !

Phèdre. — Ah ! si tu savais ! Certains soirs que je te laisse avec Gabrielle pour rentrer avec Le Brison dans ma chambre !… Ah ! ces soirs-là, si tu savais… ah ! là ! là !…

Etienne. — Patronne, c’est des choses à ne pas dire.

Phèdre. — Ah ! les dire, ça ne serait encore rien, mais c’est que je les pense et je pense : ah ! si au lieu de ce gros-là qui ronfle, c’était Etienne qui dormait…

Etienne. — Oh ! patronne !

Il veut se lever, mais en est empêché par la jambe de Phèdre sur la sienne.

Phèdre. — Si au lieu des baisers de Le Brison, c’était les baisers d’Etienne… !

Etienne. — Non ! il ne faut pas. C’est pas équitable ! M. Le Brison n’est pas si toc.

Phèdre. — Ah ! mon pauvre ami, en chemise de nuit, il a l’air d’une blague.

Etienne. — Oh !

Phèdre. — Et puis, enfin ! Est-ce qu’il est… toi ?… Est-ce qu’il a ton physique, tes yeux, ta bouche, tes dents, tes joues, tes bonnes grosses joues ?

Etienne, voulant se dégager. — Patronne, votre jambe !

Phèdre. — Est-ce qu’il a tes cheveux, tes cheveux si drus, si brillants ?… (Elle lui passe la main dans les cheveux.)

Etienne. — Patronne, les cheveux du patron…

Phèdre. — Ah ! non, mon vieux, il est chauve ! Et tes bras, est-ce qu’il a tes bras musclés, le patron ?

Etienne, essayant de se dégager. — Patronne, votre j…

Phèdre. — Est-ce qu’il a tes moustaches ?

Etienne. — Votre…

Phèdre. — Tes jolies moustaches ?…

Etienne. -…Jambe.

Phèdre. — Tes moustaches que j’ai envie d’embrasser !

Etienne. — Patronne ! patronne !

Phèdre. — Quoi ?

Etienne, énergique. — Non, enlevez votre jambe ! vous êtes sur mes genoux.

Phèdre. — Eh ! bien, après ?

Etienne. — Eh bien ! je pense à monsieur Le Brison. Si monsieur Le Brison…

Phèdre. — Ah ! et puis crotte à la fin avec Le Brison ! Crotte, comme disait Cambronne quand il était petit.

Etienne. — Oh !

Phèdre. — C’est vrai, ça ! voilà une heure que je vous fais une déclaration, que je me jette à votre cou et vous restez là, comme une motte de beurre.

Etienne. — Ah ! vous trouvez, vous !… Eh bien ! non, et c’est justement pour ça que c’est des jeux à ne pas jouer ! Ah ! bien ! Je voudrais bien vous y voir, à ma place. Motte de beurre ! Ah ! ben !… mais vous êtes là, vous êtes jeune, vous êtes jolie, vous êtes asticotante, et, avec ça,