Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/201

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devrait jamais emmener des gens qui n’ont pas l’habitude. On ne veut pas me croire, je l’ai assez dit. Enfin, voilà : nous marchions très bien, nous faisions du quatre-vingt. Chatel-Tarraut commençait à revenir sur son opinion, à trouver ça très agréable, quand, tout à coup, une poule, une vache de poule se met à traverser devant nous.

Etienne. — Alors ?

Le Brison. — Alors ! voilà-t-il pas cet imbécile qui se lève et qui se met à secouer le bras du chauffeur en criant : "Gare à la poule ! gare à la poule ! " Il y avait un mur à gauche…

Etienne. — Oui, il y a toujours un mur dans ces occasions-là !

Le Brison. — V’lan ! l’auto entre dedans. Et Chatel-Tarraut exécute un magistral panache qui l’envoie de l’autre côté du mur ! Ah ! on m’y reprendra encore à vouloir l’emmener en automobile ! Cinq cents francs de réparation !

Chatel-Tarraut entre, soutenu d’un côté par madame Grosbois, de l’autre par Jourdain.

Madame Grosbois. — Tu ne peux pas te faire une opinion là-dessus. C’est accidentel.

Chatel-Tarraut. — Ah ! là ! ah ! là !… ah ! Cochonne d’automobile ! Cochonne d’automobile !

Phèdre. — Eh bien ! Ca ne va pas, monsieur de Chatel-Tarraut ?

Chatel-Tarraut - Mais naturellement !… ah ! là… j’en étais sûr !… parbleu ! on a absolument voulu que j’y aille !… je ne voulais pas ! je savais bien ! Cochonne d’automobile ! oh ! mes reins.

On le fait asseoir sur un fauteuil.

Le Brison. — Je vous engage à parler. Si vous n’aviez pas saisi le bras du chauffeur !…

Chatel-Tarraut. — Il y avait une poule, monsieur, une poule qui allait être écrasée.

Le Brison. — Eh ! bien, v’la tout ! on la laisse ! les poules sont faites pour ça.

Jourdain. — Elles sont habituées.

Le Brison. — Vous pouviez nous faire casser la tête !…

Chatel-Tarraut. — Et à moi aussi.

Le Brison. — Vous, encore, c’est votre faute ! vous le méritiez ! Mais nous qui n’avions rien fait pour ça.

Chatel-Tarraut. — Mais c’est vous qui avez voulu y aller, tandis que moi, je ne voulais pas !

Le Brison. — Mais nous ne pensions pas que vous auriez l’idée de secouer le bras du chauffeur !…

Chatel-Tarraut. — Mais, moi, je ne pouvais pas prévoir qu’il y aurait une poule !…

Le Brison. — Ah ! laissez-moi donc tranquille !

Phèdre. — Une autre fois vous ne toucherez plus au bras du chauffeur.

Madame Grosbois. — Voilà !

Chatel-Tarraut. — Une autre fois !… ah, çà ! est-ce que vous croyez que j’ai l’intention de recommencer ?

Le Brison. — Naturellement ! sans quoi vous ne serez jamais un automobiliste.

Chatel-Tarraut. — Mais non ! Je ne serai jamais ! je le sais bien que je ne serai jamais !… ah ! cochonne d’automobile ! cochonne d’automobile !

Gabrielle. — Voici l’alcool et l’arnica.