Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/218

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Madame Grosbois, paraissant à la fenêtre du premier. — Ah ça ! mais qu’est-ce qu’il y a ? Qui est-ce qui crie comme ça ?

Gabrielle. — Ma tante, viens à mon secours !

Madame Grosbois. — Gabrielle ! Mais veux-tu bien rentrer, tu vas attraper froid.

Gabrielle. — Je me suis jetée par la fenêtre !

Madame Grosbois. — Ah ! Malheureuse enfant ! Tu n’es pas blessée ?

Rudebeuf. — Oh ! d’un rez-de-chaussée.

Gabrielle. — C’est monsieur Rudebeuf qui veut me violenter.

Madame Grosbois. — Hein, lui ! Vous, et en pleine place publique. Mais c’est monstrueux ! C’est un attentat à la pudeur !

Rudebeuf. — Mais il n’y a pas d’attentat ! C’est Madame qui s’amuse à faire tout ce scandale !

Madame Grosbois. — Attendez un peu que je descende. Je passe un jupon et j’arrive. Vous n’avez pas honte, monsieur ! Rentre, ma chérie !

Elle referme sa fenêtre.

Rudebeuf. — Je vous en prie, Gabrielle, écoutez votre sage femme de tante ! Rentrez !

Gabrielle. — Je rentrerai si vous ne me suivez pas.

Rudebeuf. — Mais, nom d’une pipe ! Vous ne pouvez pourtant pas exiger que je passe ma journée dehors dans cet accoutrement !

Gabrielle. — Je ne veux pas d’un satyre avec moi.

Rudebeuf. — C’est insensé ! Mais enfin, qu’est-ce que je vous ai fait ? Parce que j’ai voulu être aimable ?

Gabrielle. — Vous appelez ça "être aimable" ?

Rudebeuf. — Vous ne pouvez pas dire que je n’y ai pas mis du mien ! Hier au soir, vous avez voulu que nous fassions chambre à part ! C’était ridicule, mais enfin je me suis incliné, je me suis dit : "C’est une femme qui n’est pas pour les transitions brusques ! remettons à demain ! " J’ai passé une nuit blanche à penser : "Elle est là à côté de moi ! elle m’appartient et je ne l’ai pas ! " Et ce matin, fou d’amour, estimant ne venir réclamer que ce qui était tacitement convenu entre nous, j’entre dans votre chambre… et voilà ce que vous faites !

Gabrielle. — Je vous ai promis quelque chose, moi ?

Rudebeuf. — Pourquoi m’avez-vous dit : "Enlevez-moi ? "

Gabrielle. — C’était pour moi ! Ce n’était pas pour vous !

Rudebeuf. — Mais, tonnerre de nom d’un chien ! On ne se paye pas la tête des gens comme ça ! Il y a des usages. Quand on dit à un monsieur : "Enlevez-moi", ça veut dire que… que… enfin, ça veut dire ça ! J’en appelle à tous les hommes !

Gabrielle. — Ah ! bien ! c’est ça qui m’est égal !

Rudebeuf. — Oui, mais pas à moi ! Je suis volé, moi ! Je suis volé !

Madame Grosbois. — Alors, monsieur, quoi ? Vous chercher à compromettre ma nièce ? Tiens, prends ça. (Elle tend à Gabrielle un châle.)

Rudebeuf. — Ah ! celle-là, par exemple !

Gabrielle. — Dites donc le contraire ! Vous vous êtes permis, sans même frapper à la porte, de faire irruption dans ma chambre et vous avez osé me demander.

Rudebeuf. — Dame !

Madame Grosbois. — Quelle horreur !

Rudebeuf. — Mais, nom d’un petit bonhomme, je ne comprends plus, moi !… alors, je suis devenu idiot !…

Gabrielle. — Ca, c’est votre affaire.