Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 6, 1948.djvu/36

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Voix de Joseph, dans l’antichambre. — Ah ! madame !

Angèle. — Oh ! rentrez ! (Elle le pousse dans la chambre de droite. À Joseph qui paraît.) Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Joseph. — C’est cette bonne que Madame attendait de la province.

Angèle. — Eh bien, oui, plus tard !

Joseph. — Oh ! Madame, elle est là ! (À Charlotte qui paraît au fond.) Entrez, ma fille, entrez !

Angèle, descendant en scène. — Ce qu’il est assommant, ce garçon !

Joseph sort.

Scène III

Angèle, Charlotte

Charlotte, saluant, accent normand. — Madame…

Angèle, s’asseyant sur la chaise qui est à gauche de la table de droite. — C’est bien ! Approchez, ma fille ! Vous m’êtes recommandée par le curé de Châtellerault, un vieil ami de la famille.

Charlotte, au milieu. — Un bien brave homme.

Angèle. — Il m’a dit que vous étiez une fille très recommandable.

Charlotte. — Ah ! ça, Madame, je peux le dire, je suis dans une position intéressante.

Angèle. — Vous dites ?

Charlotte. — C’est ma mère qui m’a mise dans cet état-là.

Angèle. — Votre mère ?… Ah çà ! voyons… Qu’est-ce que vous chantez ? Qu’est-ce que vous chantez ?

Charlotte. — Oui, ma mère, elle a fauté, ma mère ! Vous ne devez pas savoir ce que c’est que ça à Paris ? Eh bien, c’est quand on s’est laissé contourner par un homme… Elle a fauté, quoi !

Angèle. — Et avec qui !

Charlotte. — Avec le 5e cuirassiers ! Et même qu’elle l’a suivi, le 5e cuirassiers et qu’elle m’a abandonnée là, toute petite. Alors, ce brave curé, il dit comme ça : "Voilà un bébé qui est dans une position intéressante !"

Angèle. — Ah ! bien ! très bien ! j’aime mieux ça !

Charlotte. — Et c’est lui qui m’a élevée.

Angèle. — Lui ?

Charlotte, — Oui, Madame !… Ainsi que ma tante Pichu. Vous devez connaître son fils, il est à Paris, commissionnaire.

Angèle. — Non, connais pas !… mais, voyons, vous ne devez pas savoir faire grand’chose, vous ?

Charlotte. — Si, Madame ! je savons garder les vaches. Vous avez-t-il de ça à Paris ?

Angèle. — Non ! savez-vous coudre ?

Charlotte. — Oui, Madame ! Je savons coudre, je savons laver, je savons danser !

Angèle. — Ça, danser, ça m’est égal ! Enfin, avec tout ça, vous n’avez jamais servi ?

Charlotte. — Oh ! Madame, je sommes rosière.

Angèle, se levant et allant à Charlotte. — Ça n’a pas de rapport, ma fille ! Enfin vous avez de la bonne volonté, nous essayerons de faire quelque chose de vous, Je veux que mon mari, à son retour, vous trouve une domestique accomplie.