Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/241

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Yvonne. — Absolument !

Lucien, pouffant. — Une maladie du ventre ! C’est la déesse de la mer.

Yvonne, interloquée. — Ah ?… (Acariâtre.) Eh ! quoi ! je confonds !… je confonds avec l’entérite.

Lucien. — Ça ne se ressemble pas !

Yvonne. — Quoi ! on peut se tromper.

Lucien. — Oui, eh bien ! quand le cortège a fait son entrée, ça, ç’a été une sensation d’art ! Un modèle admirable, complètement nu, dans une coquille nacrée, portée par des tritons et des sirènes !

Yvonne, pincée. — Une femme toute nue !

Lucien. — Toute nue.

Yvonne. — C’est du propre !

Lucien, très posément. — Eh bien ! justement, c’est ce qui te trompe ! Il n’y avait rien d’inconvenant.

Yvonne. — Oui ? Eh bien ! je ferais ça, moi !!… (Tout en parlant elle gagne l’avant-scène droite et grimpe dans son lit.)

Lucien, levant les bras au ciel. — Ah ! parbleu, évidemment, toi… ! c’est bête ce que tu dis.

Yvonne, dans son lit et sur son séant. — Enfin, quoi, une chose est inconvenante ou elle ne l’est pas.

Lucien. — Elle ne l’est pas quand c’est des modèles !… Et celui-là : une ligne !… et des seins, ah !… comme je n’en ai jamais vu ! (Il va à la cheminée.)

Yvonne, faisant une révérence de la tête, puis sur un ton pincé. — Je te remercie.

Lucien, se retournant, interloqué. — Quoi ?

Yvonne. — T’es encore poli !

Lucien, lève les yeux au ciel, puis. — Allons, bon ! tu vas encore te formaliser. Je ne dis pas ça pour toi ! Évidemment les tiens sont très jolis ! mais enfin… ce ne sont tout de même pas des seins de modèle. (Il retourne à la cheminée pour défaire son jabot.)

Yvonne. — Ah ! vraiment ?… (Rejetant ses couvertures et sautant à bas du lit pour foncer sur Lucien. Pendant le trajet, tout en dénouant précipitamment les rubans de sa chemise.) Et… et… (Arrivée à Lucien ; le faisant pivoter face à elle.) et qu’est-ce que tu leur reproches ? (Dos au public, et face à Lucien, elle s’est campée devant lui, le devant de sa chemise ouvert et tenu écarté des deux mains.)

Lucien, absolument ahuri par cette ruée inattendue. — Hein ? Mais, je ne sais pas… Eh bien ! tiens, par exemple, là… (Il indique avec ses doigts une place de la poitrine d’Yvonne.)

Yvonne, lui appliquant une tape sur la main et bondissant en arrière. — Assez ! Je te défends d’y toucher !… Va donc toucher ceux de la dame puisqu’ils sont mieux que les miens !

Lucien. — Oh ! que tu es bête !

Yvonne, revenant à la charge. — Allez ! allez, dis ! qu’est-ce que tu leur reproches ?

Lucien, serré entre le chambranle droit de la porte de gauche et Yvonne littéralement collée contre lui. — Oh ! peu de choses !… Même en dessous ils sont très bien ! là, tu vois, je suis juste. Mais au-dessus, dam ! ça creuse un peu ; ça…

Yvonne, indignée. — Ça creuse !

Lucien, avec un geste de la main faisant image. — Alors ça les fait légèrement en portemanteau.