Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/240

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Lucien, répétant machinalement. — Il n’y a pas d… hein ? (Jetant un regard sur le foyer.) Ah ! oui tiens !… L’habitude, tu sais. Comme quand il y a du feu, c’est là-dedans qu’on le met… alors, inconsciemment… !

Yvonne. — Ssse !

Lucien, d’un ton minable. — Comme c’est peu charitable à toi de m’enlever mes illusions ! Je commençais déjà à me réchauffer.

Yvonne. — Ah ! tu te chauffes avec des illusions, toi ? Eh bien ! dorénavant, mon vieux… pour ton feu !…

Lucien, agacé, haussant les épaules et remontant au fond. — Ah ! la bada !

Yvonne, revenant à la charge. — Non ! penser qu’on n’est marié que depuis deux ans et que monsieur lâche déjà sa femme pour aller au bal des Quat’Z’arts !

Lucien, obsédé. — Écoute, je t’en prie… je suis fatigué, tu me feras une scène demain.

Yvonne. — Oh !… je ne te fais pas de scène ! je constate.

Lucien, descendant un peu en scène. — Si tu ne comprends pas qu’un homme a besoin, pour ne pas s’encroûter, de tout voir, de tout connaître… pour former son esprit… !

Yvonne, avec un profond dédain. — Oh ! non… ! non ! écoutez-moi ça ! T’es caissier aux Galeries Lafayette ; c’est ça qui peut te servir pour ta profession, de connaître le bal de Quat’Z’arts !

Lucien, piqué. — Je ne suis pas que caissier ! je suis peintre.

Yvonne, haussant les épaules. — T’es peintre ! tu barbouilles.

Lucien, vexé. — Je barbouille !

Yvonne. — Absolument ! Tant qu’on ne vend pas, on barbouille. Est-ce que tu vends ?

Lucien. — Non, je ne vends pas ! Évidemment, je ne vends pas ! La belle malice ! Je ne vends pas… parce qu’on ne m’achète pas !… sans ça… !

Yvonne. — T’as jamais bien peint qu’une chose !

Lucien, heureux de cette concession. — Ah !

Yvonne. — Ma baignoire… au ripolin.

Lucien, vexé, gagnant vers la cheminée. — Oh ! c’est drôle ! Oh ! c’est spirituel. Va, marche ! (Revenant vers le lit.) N’empêche que je suis plus artiste que tu ne crois ! Aussi, comme artiste, est-il tout naturel que j’aille chercher des sensations d’art.

Yvonne. — Allons ! allons ! dis que tu vas chercher des sensations, un point, c’est tout ! Mais ne parle pas d’art !

Lucien, renonçant à discuter. — Ah ! tiens, tu me cours ! (Il gagne jusqu’à la cheminée et se met en posture de retirer son jabot devant la glace.)

Yvonne, rejetant ses couvertures. — Non… mais… (Elle saute à bas du lit et, pieds nus, court à Lucien ; puis, après l’avoir fait pivoter face à elle.) Non mais cite-m’en donc une, si je te cours ; cite-m’en donc une, de tes sensations d’art !

Lucien. — Mais absolument.

Yvonne, sur un ton coupant. — C’est pas une réponse ! Cite-m’en une ! (Elle redescend en scène.)

Lucien, descendant à sa suite. — Je n’ai que le choix… Tiens, par exemple, quand on a fait l’entrée d’Amphitrite. (La toisant et avec un sourire un peu dédaigneux.) Tu ne sais peut-être pas seulement ce que c’est que l’Amphitrite ?

Yvonne. — Oh ! n’est-ce pas ? Je ne sais pas ce que c’est !… C’est une maladie du ventre !

Lucien, ahuri. — Quoi ?