Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/248

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Yvonne, ne lâchant pas prise. — Non, vrai, à ta place, je l’aurais sur l’estomac !

Lucien, dans le nez de sa femme. — Mais je l’ai, nom de D… ! Je l’ai !

Yvonne, criant aussi fort que lui. — Ah ! et puis ne crie pas comme ça ! C’est vrai, ça ! Voilà une heure que tu m’éreintes avec tes discussions !

Lucien, descendant en scène. — Ah ! non, ça c’est le bouquet ! C’est moi qui discute ! c’est moi qui l’éreinte !

Yvonne. — Tu ne veux pas dormir, non ?

Lucien, revenant au-dessus du lit. — Oh ! si, dormir ! dormir ! je tombe de sommeil !

Yvonne, lui tournant le dos et s’enfonçant sous les couvertures. — Eh bien ! moi aussi ! bonsoir !

Lucien, sur le même ton. — Bonsoir !

Yvonne. — Et flûte !

Lucien, s’asseyant sur le pied du lit. — Et flûte !

Yvonne, à Lucien qui, en s’asseyant sur le lit, s’est en même temps assis sur sa cheville, lui envoyant un coup de pied à travers la couverture. — Mon pied, voyons !

Lucien, furieux. — Eh ! ton pied, voyons ! (Posant son pied gauche sur la barre du pied du lit afin d’avoir son genou à hauteur de sa main pour défaire la jarretière de sa culotte.) Ah ! se coucher ! (Il dénoue la jarretière, puis.) On ne me ferait pas sortir pour un boulet de canon ! (Un temps. Soudain un coup de timbre dans le vestibule. Un instant, Lucien et Yvonne demeurent sur place, comme médusés. — Nouveau coup de timbre. — Yvonne soulève lentement la tête et se mettant sur son séant regarde Lucien avec anxiété. Lucien, lui, retire lentement sa jambe de la barre du lit et se contournant complètement à gauche, jette un regard interrogateur à Yvonne.)

Yvonne, après ce jeu de scène, d’une voix étranglée. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Lucien, de la même voix étranglée. — Je ne sais pas !… C’est la porte d’entrée. (Nouveau coup de timbre qui les fait sursauter.)

Yvonne, bondissant sur son séant. — Ah ! mon Dieu !

Lucien. — Ça ne doit pas être une visite.

Yvonne. — Pour qu’on sonne à cette heure-ci, ça ne peut être que quelque chose de grave.

Lucien, affolé. — Oui. (Nouveau coup de timbre.)

Yvonne, sautant hors du lit et tout en enfilant ses pantoufles. — Encore ! Ah ! Lucien, Lucien, j’ai peur… (Elle saisit son peignoir sur le pied du lit.)

Lucien, aussi troublé qu’elle. — Allons ! allons ! de l’énergie, que diable !! Il ne faut pas se laisser abattre.

Yvonne, affolée, allant de droite et de gauche, comme quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il cherche. — Ah ! tu en parles à ton aise ! toi, tu es un homme, mais moi !… (Sonnerie.) Oh !

Lucien, tournant et retournant sur place. — Quelle tuile encore ? Quelle tuile ?

Yvonne. — Mais où est-il, enfin ? Où est-il ?

Lucien. — Qui ?

Yvonne, agitant de grands bras. — Mais mon peignoir ! Où ai-je fourré mon peignoir ?

Lucien. — Mais tu le tiens à la main !

Yvonne. — Ah ! oui ! (Nouvelles sonneries répétées.)

Tous deux. — Oh !