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Joseph, apportant la chemise à Lucien. — Ça a l’air d’une chemise de jour !

Lucien, le bouchon toujours entre les dents. — Qu’est-ce que vous voulez, faute de mieux !… Allez, mettez-vous à genoux ! (Joseph obéit.) Roulez ça en tampon ! En tampon, vous ne savez pas ce que c’est ?

Joseph. — Si, monsieur ! (Il roule la chemise en tampon)

Lucien. — C’est bien, donnez ! (Tendant la bouteille d’éther à Joseph.) Prenez ça ! ça ! (Joseph, à genoux de l’autre côté d’Yvonne, prend la bouteille des mains de Lucien et lui passe en échange la chemise de jour. — Lucien, le bouchon toujours entre les dents.) Le bouchon ! le bouchon ! (Joseph cherche des yeux le bouchon par terre.) là ! là ! dans mes dents ! (Joseph lui retire le bouchon des lèvres.) Bon ! de l’éther ! de l’éther ! (Il présente le tampon à Joseph qui l’imbibe d’éther, après quoi tout en tapotant, avec, le visage de sa femme.) Yvonne ! mon Yvonne ! (À Joseph, tout en lui retendant le tampon pour qu’il y verse un peu d’éther.) Ah ! franchement, vous savez, vous !… (À sa femme évanouie.) Yvonne, mon Yvonne ! (À Joseph.) Vous auriez bien pu attendre jusqu’à demain matin pour venir nous annoncer des nouvelles pareilles !

Joseph. — Si monsieur croit que c’est pour mon plaisir !

Lucien. — Non, mais c’est peut-être pour le nôtre ! (À Yvonne.) Yvonne, ma chérie ! (À Joseph.) Je vous demande un peu ce qui pressait ?… Évidemment, ma pauvre belle-mère, c’est très malheureux ! mais, quoi ? D’ici demain matin… elle ne se serait pas envolée !… et, au moins, madame n’aurait pas eu sa nuit troublée !… (Un demi-ton plus bas.) ni moi non plus !

Joseph. — Je suis désolé, monsieur ! la prochaine fois je saurai.

Annette, accourant avec une de ces salières communes à double coquille et tige en gros verre côtelé, et, en passant devant Joseph allant la présenter devant le nez de Lucien. — Voilà, moussié !

Lucien, relevant la tête, regarde la salière, regarde Annette, regarde la salière, puis. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Annette. — C’est la salière.

Lucien. — Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ?

Annette. — C’est moussié qui m’a temanté ti sel.

Lucien. — Des sels, bougre de moule ! pas du sel ! Vous ne pensez pas que je vais saler madame.

Annette. — Est-ce que che sais moi ! ché suis bas médecin. (Elle va poser sa salière sur la cheminée.)

Lucien, voyant Yvonne qui revient à elle. — C’est bien ! voilà madame qui rouvre les yeux ! tenez, écartez-vous ! et emportez ça. (Il rend vivement la chemise de jour à Joseph qui se relève aussitôt et va se mettre près d’Annette au-dessus de la cheminée. Machinalement, pendant ce qui suit, sans que le public s’en aperçoive, il mettra dans la poche droite de son veston la chemise qu’on vient de lui rendre. Lucien se glisse dans le dos d’Yvonne et s’assied contre elle par terre, les jambes parallèlement à la rampe, les pieds émergeant à droite d’Yvonne, le corps à gauche.) Yvonne ! mon Yvonne !

Yvonne, regarde à droite et à gauche comme quelqu’un qui reprend ses sens, puis. — Qu’est-ce qu’il y a eu donc ?

Lucien. — Mais, rien, mon chéri ! rien du tout.

Yvonne. — Alors, pourquoi suis-je par terre ? (À ce moment son regard tombe sur Joseph.) Ah !… ah ! oui… oui… oh ! maman ! ma pauvre maman ! (Elle éclate en sanglots sur la poitrine de Lucien.)

Lucien, la tenant dans ses bras, et la secouant doucement comme un bébé qu’on veut consoler. — Là ! là ! Allons, voyons !… Allons ! Allons !… Allons,