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mace) cœur en croix… ! (Grimace. — puis à Annette.) Vous me préparerez simplement un peu d’eau, Annette, que je me débarbouille.

Annette. — Oui, mâtâme. (Elle gagne par le fond vers la porte de droite par laquelle elle sort.)

Yvonne, avec une tendresse douloureuse. — La pauvre chère femme ! Te souviens-tu comme elle était bonne ?

Lucien, distrait, a un hochement de tête approbatif, puis. — Qui ?

Yvonne, lui envoyant une tape de colère sur le mollet. — Mais maman !

Lucien. — Ah ! oui.

Yvonne. — Et pour toi, si pleine d’indulgence ! t’excusant toujours ! Quand on pense que tu la bousculais, que tu la traitais… ! Il n’y a pas deux jours encore tu as été jusqu’à l’appeler « chameau ».

Lucien, d’un ton douloureusement suppliant. — Yvonne !

Yvonne, sur un ton larmoyant. — Comment as-tu pu te laisser aller à l’appeler chameau ?

Lucien, a un geste vague, puis, comme le meilleur argument du monde. — Je ne pensais pas qu’elle mourrait !

Yvonne. — Voilà ! c’est ton châtiment aujourd’hui.

Lucien, pivotant sur son séant. — Ah ! Seigneur ! (Il reste dos au public pendant ce qui suit, la tête dans la main droite, le coude sur la barre du pied du lit.)

Yvonne. — Quel remords de penser qu’elle est partie avec le souvenir de ton manque de respect !… Chameau ! ma sainte mère (Sur un ton lent, rythmé et doux, tandis que Lucien, à chaque fin de phrase, a l’air d’approuver d’un hochement de tête, alors qu’en réalité ce n’est que le résultat du bercement que produit chez lui la musique des paroles d’Yvonne.) Eh ! bien ! que ta conscience s’apaise ! Je connais mieux que personne quels trésors de miséricorde renfermant le cœur de maman ; aussi, je crois être l’interprète de son sentiment dernier, en te disant : « Va, Lucien ! on te pardonne… ! » (Répétant douloureusement.) On te pard… (Ne recevant pas de réponse de Lucien, elle relève la tête de son côté et… constatant qu’il s’est assoupi pendant qu’elle parlait, lui envoyant une vigoureuse tape sur le mollet.) Tu dors !

Lucien, réveillé en sursaut. — Hein ? Moi ? Euh… ! Ah ! Je te demande pardon ! un peu de fatigue… !

Yvonne, indignée. — Fatigué ! Maman n’est plus, et il est fatigué. (Se relevant d’un bond et empoignant Lucien qu’elle envoie de l’autre côté donner dans l’estomac de Joseph.) Allons, debout !

Lucien et Joseph, cognés l’un contre l’autre. — Oh !

Yvonne. — Est-ce que nous ne devrions pas être là-bas ?

Lucien. — Ah ! on va… ?

Yvonne. — Naturellement, on va ! tu ne comptes pas que nous allons nous coucher.

Lucien, avec un soupir de résignation tout en jetant un regard de regret vers le lit. — Non !

Yvonne, écartant brusquement Lucien de son passage pour aller à la chaise gauche de la scène. Tout en soulevant son jupon qui est sur la chaise et l’y reposant. — Ma chemise de jour ? Où est ma chemise de jour ? (En disant le second « ma chemise de jour ». elle a écarté Joseph en le repoussant vers la cheminée et est remontée vers la chaise près du secrétaire.)

Lucien, à Joseph. — Mais je vous l’ai donnée à vous !

Joseph. — À moi !

Lucien. — Mais oui !