Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lucien, à l’avant-scène près de la cheminée. — Crétin !

Joseph, au fond. — Mais monsieur, c’est pas de ma faute !… vous devriez être contents !

Lucien et Yvonne, bondissant sur place. — Contents !

Lucien. — Brute !

Yvonne. — Imbécile.

Lucien. — Chameau !

Joseph, dans l’embrasure de la porte. — C’est trop fort, par exemple ! vous m’engueulez parce que votre mère n’est pas morte ! je n’y peux rien, moi !

Tous deux, bondissant sur lui. — Qu’est-ce que vous dites !

Lucien, à gauche de la porte à Joseph. — Voulez-vous foute le camp ! n… de D… !

Yvonne, poussant Joseph dehors. — Voulez-vous vous en aller !

Joseph, pendant qu’on l’expulse. — Oh ! non, non, je m’en souviendrai de celle-là.

Yvonne. — Oh ! et moi aussi, par exemple ! (Elle sort à la suite de Joseph qu’elle poursuit jusque dans l’antichambre.)

Lucien, qui est resté sur le pas de la porte, continuant à invectiver Joseph que le public ne voit plus, pas plus qu’Yvonne. — Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… (Chaque « Foutez le camp ! » doit être espacé de deux secondes. Dans chaque intervalle on entend un « Oh ! » indigné d’Yvonne. À tout cela se mêlent les protestations de Joseph, le bruit de la porte d’entrée qu’on ouvre, puis qu’on referme brusquement sur le dos de quelqu’un. Lucien, redescendant, et comme un dernier grognement qui ne s’adresse plus à personne.) Foutez le camp !

Yvonne, très énervée, redescendant vers le pied du lit et y jetant son fichu et son manteau. — Oh !

Lucien. — Oh !

Yvonne. — Oh !

Lucien. — Oh ! quelle brute ! quelle brute !

Yvonne. — Vous donner des coups pareils ! (Elle s’assied tout émue sur la banquette.)

Lucien, indigné. — Oh ! (Après un temps, heureux de cette occasion de représailles.) Eh bien ! la voilà, ta mère ! voilà ce qu’elle nous fait, ta mère !

Yvonne, ahurie. — Ah ! çà ! qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui te prend ?

Lucien. — Oui ! Qu’est-ce que je dirai au tapissier, moi, maintenant ?… quand il apprendra que ta mère n’a jamais été morte ? que tout ça c’était une blague ?

Yvonne. — Comment, quand il apprendra ? Mais tu n’as qu’à ne pas lui apprendre.

Lucien, presque crié. — Mais je lui ai écrit !

Yvonne, se dressant indignée. — Déjà !

Lucien, de même. — Évidemment ! puisqu’il nous embête, cet homme !

Yvonne. — Oh !

Lucien. — Je lui ai annoncé que j’allais pouvoir le régler, ayant eu la… la douleur de perdre ma belle-mère.

Yvonne. — C’est trop fort ! tu escomptais maman !

Lucien. — Je ne pouvais pas me douter que tout ça c’était une blague ! (Montrant le poing à la porte du fond.) Oh ! le chameau ! le chameau !

Yvonne, sautant sur lui comme une tigresse. — C’est maman que tu appelles chameau ? C’est maman que tu appelles chameau ?

Lucien. — Oh ! oui, alors ! oh ! oui, alors ! Chameau ! Chameau !

Yvonne, lui mettant ses ongles dans la figure. — Misérable ! Misérable !