Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/105

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Paginet. — Ah ! merci !…

Il prend le courrier. Joseph sort par le fond.

Paginet. — Ah ! voyons d’abord cette dépêche !

Madame Paginet, vivement. — Non,… : attends. Ne te fatigue pas les yeux, je vais te la lire.

Paginet. — Mais non, pas du tout !… (Lisant.) "Paginet, Chevalier de la Légion d’Honneur." Ah ! tiens ! c’est de Dubouchard. (Lisant.) "Compliments, décoration bien méritée…) (À part.) Ah ! ça, oui ! (Lisant.) Amitiés à votre mari… (Parlé.) Qu’est-ce qu’il chante ?

Madame Paginet, à part. — Aïe ! (Haut.) Eh ! bien, oui !… c’est bien ça !… c’est pour moi : amitié à votre Marie !… Je m’appelle Marie. Le télégraphe a oublié l’E.

Paginet. — Parbleu !… c’est évident !… Le télégraphe n’en fait jamais d’autres !… Tu ne sais pas ce qui est arrivé dernièrement ?… Une pauvre petite femme qui s’est crue veuve à cause d’une erreur semblable. On lui télégraphie : "Votre mari est décidé à se fixer à Narbonne." Et qu’est-ce que met le télégraphe ? "Votre mari est décédé asphyxié au carbonne." Tu vois où ça peut mener, des erreurs pareilles ?

Madame Paginet. — Oui, en effet.

Paginet. — Voyons le courrier.

Madame Paginet. — Non, ce n’est pas la peine ; plus tard, je ferai ça pour toi.

Paginet. — Mais pourquoi donc ? (Dépouillant le courrier.) Des cartes ! des cartes !… (Lisant.) Edouard Chanterel, docteur pédicure, envoie ses félicitations pour l’heureuse nomination qu’il a apprise à un repas de corps. (Parlé.) Un repas de cors ! mais alors il mange son fonds, le pédicure ! (Ouvrant une autre.) Ah ! qu’est-ce que c’est ça ?… une lettre en latin !

Madame Paginet. — En latin ?

Paginet, lisant l’enveloppe. — Oui !… Illustrissime… Ah ! non au fait, c’est de l’italien !… Illustrissima Señorà Paginet… Tu vois, ça veut dire à l’illustre Seigneur Paginet.

Madame Paginet. — C’est de l’italien, ce n’est pas la peine de le lire.

Paginet. — Si ! si ! je lis très bien l’italien. (Paginet lit la lettre.) C’est aimable ! très aimable !

Madame Paginet. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Paginet. — Je ne sais pas. Je lis très bien la langue, mais je ne la comprends pas. Aussi cette idée de nous écrire en italien ! Ils sont étonnants, les gens de ce pays-là ! nous, quand nous leur écrivons, est-ce que nous ne leur écrivons pas en français ?… Eh bien ! alors !…

Madame Paginet. — C’est évident !…

Paginet. — Ah ! tiens, cette enveloppe, regarde…

Madame Paginet, à part. — Ah. ! mon Dieu ! madame Paginet, chevalier de la Légion d’Honneur !… (Haut.) C’est pour moi !… c’est pour moi !

Paginet. — Mais non !… Il y a chevalier de la Légion d’Honneur. C’est moi !… ce que tu prends pour Madame, un grand M et un petit e, ça veut dire Maître ; Maître Paginet, chevalier de la Légion d’Honneur !

Madame Paginet. -. Ah ! tu crois ?

Paginet. — Tiens !… Tu vas voir. (Lisant.) "Chère Madame"… Tiens ! (Lisant.) "Je viens au nom de l’Union des femmes de Paris, vous féliciter du grand honneur dont vous venez d’être l’objet…" (Parlé.) Ah, çà ! voyons !… Je deviens idiot. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Madame Paginet : — Mais je ne sais pas, mon ami.