Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/173

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Chaflard. — Et puis enfin, je ne les connais pas, moi, ces deux types. Pour lequel suis-je témoin ?

Chauvel. — Celui que tu voudras, on ne peut pas mieux dire ! Veux-tu le pochard ?

Chaflard. — Non.

Chauvel. — Eh bien ! t’auras l’autre ! (Moue de Chaflard.) Mais, nom de Dieu ! je ne peux pas t’en offrir un troisième. Ils ne sont que deux.

Chaflard. — T’es brute, mais t’es drôle !

Chauvel, le coiffant de son melon et le lui enfonçant d’une tape jusqu’aux oreilles. — A la bonne heure ! Tu deviens parisien ! (Remontant au-dessus de la table, il prend la main gauche de Chaflard, tandis que Viroflan, 1er plan, lui prend la main droite ; à l’assistance.) Mesdames et Messieurs, je vous présente le colonel Chaflard.

Chaflard, protestant. — Moi ? Je ne suis pas colonel ! Je ne suis rien, rien du tout.

Chauvel, corrigeant. — Je vous présente le rien du tout Chaflard.

Tous, lui faisant ovation. — Ah !

Chauvel. — Criez : "Vive Chaflard ! "

Tous. — Vive Chaflard !

Chauvel, à Chaflard. — T’es content, bébé ?… (On rit.) Et maintenant, assez rigolé, vous autres !… Vous voyez des gens qui vont régler une affaire d’honneur !… Trêve de blagues, je vous prie, et respect aux choses sérieuses. Garçon, un jéroboam et de quoi écrire. (Ils s’installent autour de la table. Chauvel prend un porte-allumettes, allume une allumette avec laquelle il met le feu à tout le porte-allumettes qu’il pose sur sa tête tout enflammé, et avec une pose à la Napoléon Ier.) Messieurs, je vous écoute !…

Brouhaha général. On crie, on chante : "Oh la gomme ! " Les bouchons sautent, le champagne coule. Pendant ce temps, les garçons enlèvent la deuxième rangée de tables pour permettre de danser. Effectivement, des couples se mettent à danser dans l’espace obtenu par la suppression de la rangée de tables dont les occupants, à la prière des garçons, sont allés les uns s’installer au fond, les autres prendre les tables du 1er plan. Atténuer le bruit sans le cesser à l’entrée de la Duchesse.

Scène V

Les Mêmes, La Duchesse

Elle a paru à la porte de la loggia. Elle descend comme une femme qui hésite, gagne cependant le 1er plan devant les tables ; elle est très emmitouflée dans un grand manteau du soir. Elle est en toilette de soirée, un chapeau tout en fleurs sur la tête.

La Duchesse. — C’est fou ce que je fais là… Bah ! qui le saura ? Et puis la tentation était trop forte !… (Se dilatant.) Enfin, mon Maxim, mon vieux Maxim ! Je te retrouve ! Ah ! c’est bon ! je respire ! je vis ! je suis chez moi !