Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/82

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Paginet. — Mais non ! mais non ! (Targinette prend le bas de sa robe et l’étend sur les genoux de Paginet.)

Targinette. — Oh ! mais si !

Paginet, à part. — En voilà une tenue !… Elle va me faire avoir des histoires avec ma femme… (Se levant.) Je vous demande pardon, j’ai le regret de vous contredire. Quand on a la chance d’être l’époux de madame Paginet, ma femme, on est cuirassé pour l’extérieur.

Targinette. — Excusez-moi !… (À part.) Il n’y a pas de ressource avec cet homme-là, il est en bois.

Paginet, à part. — Je vois son jeu ; elle voudrait me payer en monnaie de singe.

Targinette. — Allons, docteur, mes compliments. Vous êtes l’oiseau rare !… Et si l’on décorait les maris fidèles… vous méritiez la croix, rien qu’à ce titre.

Paginet. — Mais madame, vous pourriez n’être pas si loin de la vérité.

Targinette. — On va vous décorer comme mari modèle ?

Paginet. — Non, Madame, pas comme mari modèle. J’ai d’autres titres à mon actif. Je ne parle pas des cures sans nombre que j’ai faites, mais mes travaux, mon fameux ouvrage : "La négation du microbe". Vous ne l’avez sans doute pas lu ?

Targinette. — Je l’ai acheté.

Paginet. — Ah ! bien, c’est bien ça ! Eh bien ! lisez-le. Et vous croyez que ce n’est rien, ça ?

Targinette. — Ah ! si !

Paginet. — Quand le ministre m’aura mis au nombre de ses élus, est-ce que vous croyez qu’il n’aura pas fait un acte de haute justice ?

Targinette. — C’est-à-dire qu’il aura réparé une injustice.

Paginet. — Oui.

Targinette, à part. — Ah ! je vois le défaut de ta cuirasse, toi ! (Haut.) Eh bien ! mon cher docteur… c’est assez curieux, c’est justement ce que disait de vous, le ministre, l’autre soir, à l’Opéra.

Paginet. — Il a dit ça, le ministre ?

Targinette. — Oui… il était justement là quand nous parlions de vos succès de femmes !… Et il a dit comme vous : "Le docteur Paginet n’est pas ce que vous croyez, ce n’est pas un de ces médecins galantins comme tant d’autres ! Toute sa vie, il a été fidèle à madame Paginet, sa femme !"

Paginet. — Il a dit ça, le ministre ?

Targinette. — Oui. Il ajoutait : "Cet homme-là, voyez-vous, il n’a jamais eu que deux maîtresses."

Paginet. — C’est faux !

Targinette. — "Sa femme et la science !"

Paginet. — Ah ! oui !…

Targinette. — "Et quel homme de travail !… quelle envolée il a donné à la médecine !"

Paginet. — Il a dit ça, le ministre ?

Targinette. — Oui, et tant d’autres choses !… mais je vous demande pardon, je bavarde… je vous ennuie.

Paginet. — Mais… pas du tout !… continuez donc !… et de ma décoration, il n’en a pas parlé ?

Targinette. — Ah ! si ! il a dit : "Si cet homme-là ne mérite pas la croix, je me demande qui la mérite."

Paginet. — Il a dit ça, le ministre ?… Ah ! ma chère enfant… Voulez-vous me permettre d’annoncer ça à ma femme ?