Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/81

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elle est forte, celle-là ! (Haut.) Non, je vous remercie. Demain, je ne suis pas libre,… et puis je vous dirai que, quand je vais au théâtre,… j’ai un principe, je paye !… Le directeur vous donne sa marchandise, moi je lui apporte le produit de mon métier.

Targinette. — Oui, vous revenez à vos moutons.

Paginet. — Dame ! oui… dame ! oui… dix sacs de blé ! cinq moutons, je suis comme ça.

Targinette. — Ah ! comme vous avez raison !… Sentir que l’on ne doit rien à personne !

Paginet. — Mais oui !…

Targinette. — Pouvoir aller la tête haute !

Paginet. — Voilà la vérité !

Targinette. — Oh ! oui, payer ! payer, il n’y a que ça.

Paginet, à part. — Mais avec tout cela, elle ne me paie pas !

Targinette. — Payer comme vous pourrez… en argent ou autrement, mais payez ! Ah ! combien j’admire cette femme dont on me racontait l’histoire qui, trop pauvre pour règler un médecin qui avait sauvé son mari, et trop fière pour rester sa débitrice, se donna à ce médecin pour payer la guérison de son mari. Est-ce beau, ça ?

Paginet. — À raconter, oui !

Targinette. — Moi, je trouve ça… antique ! n’est-ce pas, mon bon docteur.

Elle lui passe la main autour du cou.

Paginet, à part. — Ah çà ! où veut-elle en venir ? (Haut.) Oui, oui !

Targinette, lui passant la main dans les cheveux. — Ah ! les beaux cheveux !… les jolis cheveux !

Paginet, à part. — Elle me chatouille !…

Targinette. — C’est à vous, tout ça ?

Paginet. — Evidemment, c’est à moi !

Targinette. — Oh ! que c’est beau ! que c’est beau !

Paginet. — Je vous demande pardon, je suis très chatouilleux.

Il va s’asseoir sur le canapé.

Targinette. — Ah ! il est chatouilleux, le docteur ?… (S’asseyant à côté de lui.) Savez-vous ce qu’on disait de vous, l’autre soir, à l’Opéra ?

Paginet. — On parlait de moi, l’autre soir, à l’Opéra ?

Targinette. — Oui ! on disait : "Ah ! ce Paginet, a-t-il dû avoir des succès de femmes !"

Paginet. — Hein ? Moi ? Ah ! non !

Targinette, se rapprochant. — Ah ! que si ! Oh ! que si ! (Paginet se recule, elle le regarde, il baisse les yeux.) Vous voyez, vous ne pouvez pas me dire ça en face.

Paginet. — Ah ! pourquoi ça ?… Si !… (il rencontre les yeux de Targinette fixés sur les siens et très troublé regarde le plafond.)

Targinette. — Qu’est-ce que vous avez ?

Paginet. — Rien !… (À part.) Elle me gêne avec ses yeux.

Targinette, se rapprochant encore de Paginet. — Ah ! ce petit docteur qui n’a l’air de rien ! (Paginet se recule, Targinette se rapproche.)

Paginet, à part, acculé au bout du canapé. — Ah çà ! est-ce qu’elle va s’asseoir sur mes genoux ?

Targinette. — Ah ! que cette pauvre madame Paginet doit être à plaindre !