Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/98

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Dardillon, désespéré. — Tout va bien !…

Plumarel. — Eh ! arrivez donc, Monsieur Paginet.

Paginet, entrant du fond ; il a un énorme ruban de la Légion d’Honneur à la boutonnière. — Ouf !… Ah !… mes amis !… Je suis fatigué !… Joseph, mon veston de velours !

Joseph. — Bien, monsieur !…

Paginet. — Eh bien !… Je viens du ministère. Ce qu’on vous fait poser là-dedans !…

Madame Paginet. — Tu as été reçu ?

Paginet. — Admirablement !… par l’huissier qui m’a dit : "Monsieur le Ministre n’est pas encore arrivé…" Alors, j’ai donné mon nom, n’est-ce pas ?… "Paginet, Chevalier de la Légion d’Honneur." Je me suis assis. J’ai attendu une heure. Au bout de ce temps, j’ai dit à l’huissier : "Voyez donc si le ministre est arrivé ?…" Il m’a répondu : "Le ministre !… Ah ! bien, il y a longtemps qu’il est parti !…" Et voilà comment le service est fait dans les administrations.

Simone. — Comment !… Vous n’avez pas vu le ministre ?…

Paginet. — Non !… Mais je lui ai laissé un mot sur ma carte… "Mon cher ministre… désolé de ne pas vous avoir vu… Merci beaucoup pour la petite chose…" J’ai mis la petite chose pour l’huissier… qui était là !… Il n’a pas besoin de savoir !… (Continuant.) "À vous revoir !…"

Plumarel. — C’est très bien !…

Paginet. — N’est-ce pas ?… Ce n’est pas plat ?… C’est correct et pas plat !…

Plumarel. — Tout à fait dans la note !…

Paginet. — Tenez !… regardez !… regardez-le, votre nouveau promu !…

Madame Paginet, à part. — Le malheureux !…

Paginet, montrant sa décoration. — Hein !… Ça fait assez bien !… C’est bête, mes enfants, mais dans la rue, je me suis arrêté devant toutes les glaces.

Tous. — Ah !…

Paginet. — Oui !… pour tout le monde, je faisais semblant de regarder si je n’avais pas du noir dans la figure. Comme ça, tenez !… Mais c’était ça que je regardais

Plumarel, à part. — Et vous croyez que ce ne serait pas un crime de le désabuser ?…

Joseph, rentrant avec le veston de Paginet. — Voilà le veston de monsieur !…

Paginet. — Merci ! (Il met son veston et donne sa redingote à Joseph qui remonte en l’emportant.) Ah ! attendez !… (Il retire la décoration et la met à son veston.) Là !… voici !…

Joseph sort par le fond.

Paginet, se promenant de long en large devant la glace et fredonnant. — Tra la ! la ! la la ! Tra la ! la ! la ! la !… Ah ! ça me fait un effet de me voir comme ça !… C’est-à-dire que je me demande comment j’ai pu m’en passer jusqu’à présent !… (Allant à Plumarel.) Et dire, mon bon Plumarel, que c’est à vous…

Plumarel. — Oh !…

Paginet. — Oh ! mais je ne suis pas un ingrat et je n’oublie pas la parole que je vous ai donnée.

Plumarel. — La parole !

Paginet. — Tu sais, Simone, ce dont nous avons parlé ce matin ?

Simone. — Oui, mon oncle !