Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mandrin. — Si demain, au petit jour, nous sommes encore là,… c’en est fait de nous !

Follentin. — Et moi, je me connais. Quand on me fait faire quelque chose de trop bon matin, ça me fiche à bas pour toute la journée !

Cartouche. — Aussi faut-il fuir !

Tous. — Fuyons !

Mandrin. — Mais comment ?

Ils se mettent tous à tourner dans tous les sens comme des souris dans une souricière.

Follentin. — Oui ! Eh bien ! nous n’avançons pas. Je crois qu’il vaut mieux chercher le moyen avant.

Tous. — Cherchons !

Follentin. — Ce qui me paraît le plus naturel, c’est la fenêtre.

Mandrin. — Mais les barreaux !

Follentin. — Ah, oui ! sacrés barreaux !… (Allant secouer les barreaux qui lui restent dans les mains.) Ah ! ils ne tiennent pas !

Tous. — Ah !

Follentin. — Sauvés, nous sommes sauvés !

Mandrin. — Comment, sauvés ! mais c’est à trente-cinq mètres du sol !

Follentin. — C’est vrai ! mais enfin, c’est déjà quelque chose, nous savons qu’on peut sortir par là !

Cartouche. — En se cassant le cou !

Follentin. — Oui, mais enfin, c’est déjà quelque chose ! Maintenant, ce qu’il faut trouver, c’est justement le moyen de ne pas se casser le cou !… Eh bien ! en attachant des rideaux, les uns aux autres, sur une longueur de 35 mètres !…

Mandrin. — Oui, mais nous n’avons pas de rideaux !

Follentin. — Oui, mais nous savons que si nous en avions, c’est déjà quelque chose ! Attendez donc !… J’ai une idée !… nos chemises, nos vêtements, en les effilant… et en les tressant après, nous faisons une corde.

Cartouche. — Mais il faudra quinze ans !

Follentin. — Quinze ans !… oui, oui !… En effet ! d’ici demain matin, nous ne trouverons jamais les 15 années nécessaires. Mais alors, j’ai trouvé !…

Tous. — Quoi ?

Follentin. — Mandrin sort le premier et se suspend par les mains au rebord de la fenêtre, vous, Cartouche, vous descendez le long de Mandrin, et vous vous accrochez à ses pieds. Moi je descends le long de Mandrin et puis le long de vous, et je m’accroche à vos pieds !

Mandrin. — Oui, mais ça ne fera jamais trente-cinq mètres !

Follentin. — Oui !… mais c’est déjà quelque chose !… Et puis alors,… attendez !… Mandrin, lui, qui n’a plus rien à faire là-haut, descend le long de vous et le long de moi…

Cartouche. — Mais pour cela, il lâche la fenêtre !…

Follentin. — Naturellement !

Mandrin. — Mais alors, nous dégringolons tous les trois !

Follentin. — C’est vrai !… Je n’y avais pas pensé ! Mon Dieu ! tout de même, si au lieu de trois nous avions été cinq !… Ça allait tout seul !

Tous s’arrachant les cheveux. — Ah ! non ! Ah ! non ! Il faut trouver !… Il faut trouver !…

On entend les verrous de la porte.