Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/80

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Bienencourt. — Oui, j’ai cru que c’était mon devoir, j’ai tenu à vous exposer moi-même les choses telles qu’elles se sont passées… afin que vous ne puissiez pas croire…

Follentin. — Mais quoi ? Quoi ? Parlez !

Bienencourt. — Eh ! bien, mon ami, cette place de chef de bureau sur laquelle vous étiez en droit de compter…

Follentin. — Je ne suis pas nommé ?

Bienencourt. — Hélas !

Madame Follentin. — Il n’est pas nommé ?

Marthe. — Tu n’es pas nommé ?

Bienencourt. — Vous n’êtes pas nommé !

Follentin. — Ah ! voilà ! Voilà comment les gouvernements d’aujourd’hui récompensent le zèle et le dévouement ! Mais enfin ! pourquoi ? Pourquoi ?

On se rapproche.

Tous. — Pourquoi ? Pourquoi ?

Bienencourt. — Oh ! Il n’y a rien de personnel ! Mais en matière d’avancement le ministre a pour règle de tenir toujours compte de la situation de fortune des candidats. Et comme il sait que vous avez fait un gros héritage !

Follentin. — Encore ! Encore ! cet héritage ! Toujours cet héritage ! Mais où est-elle, ma fortune ? Où est-elle ?

Bienencourt. — Mais enfin, n’avez-vous pas hérité ?

Follentin. — Oui, je sais, j’ai hérité de 320 000 francs !… Ah ! il est joli, mon héritage ! mais je vous le cède, mon héritage ! En voulez-vous ? Donnez-moi 300 000 francs comptant et il est à vous !

Bienencourt. — Tout cela, mon ami, c’est pour vous expliquer…

Follentin. — Mais quoi ?… Qui est-ce qui est nommé à ma place ?… Quelque imbécile !

Bienencourt. — Non ! Je suis vraiment désolé !

Follentin. — C’est vous !

Bienencourt. — Follentin !

Les deux Femmes. — Lui !

Follentin. — Lui !

Bienencourt. — Follentin, je vous jure !

Follentin. — Oui ! Comme pour le roi de Siam ! La croix de commandeur ! Allons ! Assez, Monsieur ! Allez porter vos trahisons ailleurs !

Bienencourt. — Trahisons !… Moi !

Follentin (furieux). — Oui, toi ! toi ! Va-t’en ! Va-t’en ! tu n’es qu’un usurpateur !

Madame Follentin (poussant Bienencourt au fond). — Oui !… Oui !… Allez-vous en, Monsieur !

Marthe. — Vous voyez que vous l’exaspérez !

Bienencourt. — Vous avez raison ! Je m’en vais !

Follentin. — Va ! Va ! Va lécher les pieds à ton ministre ! Va !… Il y a peut-être encore d’autres places à voler !…

Bienencourt (sur le pas de la porte). — Pauvre homme !

Il sort. Follentin referme la porte et redescend.