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Scène VIII

Les Mêmes moins BIENENCOURT

Follentin. — Ah ! le gredin ! Ah ! le misérable ! L’ai-je assez dit que c’était un traître. Je ne me trompe jamais sur les hommes !

Madame Follentin. — Voyons !… Calme-toi !

Marthe. — Tu es comme une tomate !

Follentin. — Ah ! j’étouffe ! Tiens, ouvre la fenêtre ! Donne-moi de l’air !

Marthe. — Oui, voilà !… Maman, je ne peux pas l’ouvrir.

Elle tire les rideaux de la fenêtre et ouvre la croisée. Bruit assourdissant des rues de Paris, trompettes de tramways, d’automobiles, etc.

Follentin. — Et on n’a pas le droit de tuer un homme comme ça !… Enfin ! Autrefois… autrefois… un homme vous gênait, on le supprimait ! aujourd’hui, on le fait chef de bureau !… Ah ! je t’en prie, ferme la fenêtre, il n’y a pas moyen de s’entendre avec leur potin !

Madame Follentin. — Oui, mon ami.

Elle ferme la fenêtre.

Follentin. — Et puis, tiens ! regarde-moi comme ça sent ici depuis qu’on a donné de l’air !

Marthe. — C’est les odeurs de Pantin, papa, c’est signe qu’il fera beau.

Follentin. — Et voilà où en est Paris aujourd’hui ! pour qu’il fasse beau, il faut que ça sente ça : Pantin ! Et tu trouves que c’est un siècle, toi ? On ne peut plus même être tranquille chez soi ! On ne peut pas ouvrir la fenêtre sans avoir les oreilles cassées, le nez empuanti. On ne sait que faire pour vous embêter ! Tout est imposé, jusqu’à la lumière et l’air que nous respirons ! Et voilà l’air que l’on nous donne pour notre argent ! On appelle ça… le progrès ! Ah ! non, c’est trop ! c’est trop ! Quelle époque ! Mon Dieu, quelle époque !

Madame Follentin. — Voyons, mon ami, maintenant la fenêtre est fermée.

Follentin. — Mais ça pue ! Ah ! tenez ! Je suis fatigué, j’ai la fièvre, je n’en peux plus !

Marthe. — Sais-tu, papa ! Si tu étais bien raisonnable, tu te coucherais.

Follentin. — Ah bien, oui ! Je ne dormirais pas !

Marthe tout en allant faire la couverture du lit. — Mais si !… mais si !… Maman va te faire une bonne tasse de tilleul avec un peu de fleur d’oranger.

Madame Follentin. — C’est ça ! Pendant ce temps-là, tu vas te déshabiller !

Pendant ce qui suit, elle va chercher dans un placard une veilleuse-réchaud en porcelaine pour faire la tisane, l’allume et prépare la tasse.

Follentin. — Puisque je ne dormirai pas !

Madame Follentin. — Déshabille-toi toujours !

Marthe. — Donne-moi ton habit !

Elle le lui enlève.