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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/83

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Follentin. — C’est beau ! C’est beau ! C’est à cette époque-là que j’aurais voulu vivre !

Marthe. — Oh ! papa ! Sous la Saint-Barthélémy ?

Follentin. — Qu’est-ce que ça me fait ! Je suis catholique, j’aurais couru le protestant !

Madame Follentin. — Voyons, tu n’as pas une nature de guerrier !

Follentin. — Naturellement ! Parce que je suis de mon époque ! J’aurais voulu que tu me voies de ce temps-là ! (Brandissant son oreiller). Tue ! Tue !

Madame Follentin. — Oui !… Eh bien, tue ! tue ! Prends donc ta tisane en attendant !

Elle le sert.

Follentin. — Tu m’embêtes avec ta tisane.

Madame Follentin. — Je t’embête, mais bois-la !

Follentin. — Ah ! Dumas ! Dumas ! « Vive Dieu, mes gentilshommes ! voudriez-vous porter la main sur un fils de France ! À toi la première manche ! Marguerite ! À moi la seconde ! Et maintenant, à la Tour de Nesles ! » (Goûtant sa tisane). Il n’y a pas de sucre.

Madame Follentin. — Mais si ! Tourne !

Follentin (après avoir bu). — Mon Dieu, que je suis fatigué !

Madame Follentin. — Naturellement ! Tu t’agites, tu t’énerves ! Tu fais une gymnastique !

Follentin (s’étendant, à Marthe). — Lis, continue !

Marthe (lisant). — « En voyant cet homme pâle, agenouillé devant elle ».

Follentin. — On n’entend rien !… Change de place.

Marthe (lisant). — « La Reine de Navarre se dressa épouvantée, cachant son visage entre ses mains et criant : » Au secours « ! »

Follentin (qui s’endort, approuvant par un grognement). — Oui.

Marthe (lisant). — « … Madame, dit La Môle, en faisant un effort pour se relever.. » (Follentin ronfle, elle s’arrête un instant, le regarde et dit à sa mère). Il dort.

Madame Follentin (bas). — Laissons-le reposer !

Elle retourne la lampe de façon que la lumière ne frappe pas dans les yeux de Follentin.

Marthe. — Et maintenant, faisons évader M. Gabriel.

Madame Follentin (surveillant Follentin). — Oui, va !

Marthe va sur la pointe des pieds jusqu’à mi-scène.

Follentin (rêvant). — Misérable ! Misérable ! Bienencourt, lui !

Le bruit fait reculer les deux jeunes gens qui, voyant que Follentin ne s’est pas réveillé, reprennent leur marche, à pas de loup, et Marthe suivant à distance sa mère, reconduit Gabriel jusqu’à la porte de sortie. Celui-ci lui baise la main, fait un adieu du regard à Madame Follentin qui lui répond en souriant et sort en refermant doucement la porte à droite.

Marthe (à Madame Follentin qui est arrivée à sa hauteur). — Bonsoir, Maman.

Madame Follentin. — Bonsoir, ma chérie !

(Elles sortent par la gauche).