Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/82

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Follentin. — Enfin !

Marthe. — Ton gilet !

Follentin (enlevant son gilet). — Non, mais… crois-tu ? Ce misérable de Bienencourt !

Marthe. — Oui, papa ! Ne pense plus à ça. (Lui donnant sa chemise de nuit qu’elle a été chercher sur le lit). Voilà ta chemise de nuit.

Follentin. — Oui… enfin ! Oh ! je le repincerai !… Retourne-toi !… (Marthe se retournant, il enlève sa chemise de jour, et passe sa chemise de nuit. Il se trouve à la tête arrêté à l’intérieur par le bouton du col qui n’est pas défait, et les deux bras de même par les manches dont les poignets sont boutonnés). Allons, bon !… bien !!!

Marthe (sans se retourner). — Qu’est-ce qu’il y a ?

Follentin (sous sa chemise). — Ce qu’il y a ? Tu le vois bien !

Marthe. — Mais non, papa, j’ai le dos tourné !

Follentin. — Eh bien ! tu ne peux pas te retourner ? Tu entends que j’ai la tête et les mains prises… et tu restes là !

Marthe (allant à lui). — Ah ! mon pauvre papa, attends !

Follentin (pendant que Marthe défait les boutons du col et des manches). — À quoi ça rime, je te le demande, de boutonner les chemises quand les gens ne sont pas dedans ?

Marthe. — Oui, papa, tu as raison !

Follentin (en chemise). — Pour vous embêter ! Toujours ! La ligue des blanchisseuses ! Quelle époque !… Mon Dieu, quelle époque !

Il remonte derrière l’alcôve de son lit où il enlève son pantalon.

Marthe. — Et moi, pour te distraire un peu de toutes tes idées noires, je vais te faire la lecture.

Follentin (se couchant). — Ah ! oui, c’est ça ! Pendant ce temps-là, je ne penserai pas ! (Il essaie d’arranger son oreiller). Sacré oreiller !

Marthe. — Attends ! (Elle arrange l’oreiller). Tu es bien, là ?

Follentin. — Oui, ça va ! Voyons ! Où en étions-nous de la « Reine Margot » ?

Elle feuillette le livre.

Follentin (à Madame Follentin qui fait la tisane sur la table du milieu). — Mais ne remue donc pas comme ça, toi, là-bas ! Viens donc t’asseoir ! Comment veux-tu qu’on lise ?

Madame Follentin. — Mais, mon ami,… la tisane !

Follentin. — Eh bien ! quoi ! la tisane ! Elle n’a pas besoin de toi pour bouillir !

Madame Follentin va s’asseoir sur une chaise au pied du lit à côté de Marthe qui est assise sur une autre.

Madame Follentin. — Oui, mon ami.

Follentin. — Où en étions-nous ?

Marthe. — Après le complot, quand La Môle se précipite au Louvre dans la chambre de la Reine Margot.

Madame Follentin et Follentin. — Ah ! oui !

Marthe (lisant). — « La Môle se précipita vers elle. Ah ! Madame, s’écria-t-il, on tue ! On égorge mes frères ! On veut me tuer ! On veut m’égorger aussi ! Ah ! vous êtes la Reine, sauvez-moi ! Et il se précipita à ses pieds, laissant sur le tapis une large tache de sang ! »