Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/89

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Madame Follentin. — Tu vois ! Tu vois ce que tu nous occasionnes.

Follentin. — Laisse donc ! Quoi ! C’est ce qu’il y a d’amusant !

Marthe. — Mais oui, maman ! Ça nous change de la banalité du vingtième siècle.

Follentin. — Regarde comme tout ça a du caractère autour de nous ! Ce que tu vois, là, c’est l’Église Saint-Germain-l’Auxerrois.

Marthe. — Et là, c’est le Louvre.

Madame Follentin. — Eh ! bien, je les connais !

Follentin. — Évidemment, tu les connais, mais pas à cette époque-là !

Marthe. — Tu connais le Louvre avec des tableaux, comme quand nous y allons le dimanche.

Follentin. — Mais songe qu’au lieu de tableaux, en ce moment-ci, il y a Charles IX, Catherine de Médicis, Henri de Navarre…

Marthe. — Qui sera Henri IV plus tard.

Follentin. — Parfaitement, il n’en sait rien, mais il sera Henri IV plus tard. Marguerite de Navarre, tcétéra, tcétéra, tcétéra.

Madame Follentin. — Faut-il qu’il y ait du logement là-dedans.

Marthe. — Plutôt !

Madame Follentin. — C’est égal, je me sens très dépaysée, il n’y a pas à dire, Adolphe, quand on se trouve comme ça dans une autre époque, on ne connaît personne.

Follentin. — Ah, bien ! c’est comme quand on voyage.

Marthe. — On fait des connaissances !

Madame Follentin. — Enfin, tu es content. C’est le principal.

Follentin. — Si je suis content ! Je nage dans la joie ! À la bonne heure ! Voilà une époque ! Personne ne nous embête !… On est libre !

Madame Follentin. — Et la vie pour rien !

Follentin. — Un poulet ; un écu ! Une sole…

Marthe. — Six sols.

Follentin. — C’est étonnant.

Madame Follentin. — Mais, dis donc, nous n’allons pas coucher ici ?

Marthe. — Je ne sais pas, papa, si tu es comme moi, mais j’ai l’estomac dans les talons.

Follentin. — Le fait est que nous avons dîné de très bonne heure. On dîne vraiment trop tôt à cette époque-ci ! Quelle heure est-il ? (Il tire sa montre). Quatre heures dix !

Madame Follentin. — Comment, quatre heures dix !

Marthe. — Mais, papa, tu as encore l’heure du XXe siècle.

Follentin. — C’est vrai ! Je ne me suis pas réglé sur l’époque ! Je vois qu’on avance sur 1905 ! Venez, mes enfants !

(Un passant passe à gauche).

Marthe. — Ah ! voilà quelqu’un.

Follentin. — Attends ! Je vais lui parler… comme on parle aujourd’hui… (Au passant). Holà ! messire !… Vous n’auriez pas l’heure sur vous !

Le Passant riant. — Ma foi, non, mon gentilhomme ! Je n’ai pas l’habitude de sortir avec mon sablier !… mais voici qui vous renseignera.

Le Crieur passant au fond, de droite à gauche. — Il est dix heures !… tout est tranquille !… Parisiens, dormez !

Follentin. — Il est dix heures !… merci, Messire.

Le Passant. — Dieu vous garde ; mon gentilhomme.