Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Follentin. — J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Le passant sort par la droite.

Le Crieur (reprenant). — Il est dix heures !

Follentin. — Dites donc ! mon ami ! Vous allez bien ?

Le Crieur descendant. — Mais pas mal, mon gentilhomme, je vous rends grâce.

Follentin. — Hein ? Ah ! non ! Je vous disais — notez que je suis très content d’avoir de bonnes nouvelles de votre santé — mais je vous demandais… si vous alliez bien comme heure ?

Le Crieur. — Toujours, mon gentilhomme ! C’est moi qui la règle.

Follentin. — Ah ! bon ! bon !

À ce moment vient au fond un seigneur entre quatre valets portant des torches à la main et des mousquets sur l’épaule.

Madame Follentin. — Mon Dieu ! Quel est cet homme entre ces gens armés ?

Marthe. — C’est un prisonnier ?

Le Crieur. — Ah ! non, ma belle demoiselle, c’est un seigneur qui rentre tranquillement chez lui.

Le seigneur et les valets rentrent dans la maison de droite.

Follentin. — Mais… ces hommes armés ?

Le Crieur. — Simple précaution d’usage. À pareille heure, les rues ne sont pas sûres.

Marthe. — Les rues ne sont pas sûres ?

Madame Follentin. — Pas sûres ! Tu vois, Adolphe, ce que je te disais.

Follentin. — Mais n’aie donc pas peur ! Des gens du seizième siècle ne peuvent pas assassiner des gens du vingtième.

Marthe. — Mai oui, ça ne concorderait pas.

Follentin au crieur. — Merci, mon ami.

Il lui donne vingt sous.

Le Crieur regardant la pièce à la lueur de l’auberge. — Napoléon III ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Une médaille ?

Follentin. — Comment ? C’est vingt sous !

Marthe. — Vingt sols !

Le Crieur. — Mais ça n’a pas cours ! On ne me la prendra pas ! Enfin, merci toujours, mon gentilhomme ! Et Dieu vous garde !

Follentin. — Merci, mon ami !

Le Crieur remontant. — Il est dix-heures…

Follentin. — Il est donc toujours dix heures ! Il y a dix minutes que nous causons et il est encore dix heures.

Le Crieur disparaissant par le fond à droite. — Tout est tranquille !… Parisiens…

(La voix se perd dans l’éloignement).